Ekom-Nkam: A la découverte de “la cité perdue”
- 26 décembre 2012
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Malgré ses chutes d’eau légendaires qui attirent de nombreux touristes, ce village du département du Moungo dans la région du Littoral au Cameroun, est en panne de développement.
A deux kilomètres du village Bayon à Melong 2, là bas dans le département du Moungo, région du Littoral au Cameroun, une barrière de sécurité se dresse sur notre chemin. Le vigile en faction ce vendredi 16 novembre 2012 est strict. « Les touristes doivent remplir le registre, tant à l’aller qu’au retour de leur visite », martèle t-il. On s’exécute. Sept kilomètres de route cahoteuse plus loin, le village Ekom-Nkam s’offre à nous, avec ses légendaires chûtes d’eau mâle et femelle de la purification et de la vie.
Rencontre avec le guide Patrick Ndzanga, pour négocier des modalités pour la visite du site. Une plaque métallique plantée dans un petit jardin renseigne qu’une personne seule doit débourser 2000 F. Cfa, 500 F. Cfa en plus, si elle est détentrice d’un appareil photo ou d’une caméra. Petite curiosité, locaux et expatriés sont soumis à la même grille. Les sacs sont consignés dans un boucaro. Thomas Ekoumdjo, un autre guide, y veille.
Sur le chemin qui mène aux chutes, les sept visiteurs de ce vendredi empruntent un escalier aménagé, puis traversent un pont. L’air est frais. Seuls les sifflements d’oiseau, le ruissellement de l’eau et le bruit des pas rompent le silence. Derrière une petite clôture de fortune en paille, les touristes découvrent au loin, les majestueuses chutes d’Ekom-Nkam. L’eau du fleuve Nkam se jette à 80 mètres de hauteur et est comme propulsée en amont par de puissants moteurs. En aval, une épaisse brume blanche s’élève. De fines gouttes d’eau arrosent les visages.
« C’est magnifique. Je peux passer plusieurs jours ici à contempler cette merveille »,
affirme Martin, un visiteur.
Non aux pratiques occultes
La vue est encore plus belle d’un autre point plus bas, indique le guide. Les touristes s’empressent de le suivre. Mais attention ! C’est chacun à son rythme. La descente, cette fois-ci, n’est pas aménagée. Un peu glissante par endroit même. Il faut savoir poser le pied entre toutes ces pierres dissimulées au milieu d’herbes qui tapissent la descente. De hautes herbes poussent de part et d’autres du chemin. On aperçoit au passage, deux petites chutes d’eau du fleuve Oham. Au bout de 232 mètres de descente de colline, on ne ressent plus rien dans les jambes, mais tout dans le cœur. De la joie. Les chutes d’Ekom-Nkam se dressent là, plus près. La vue est imprenable.
Quelques clichés pour immortaliser cet instant. Cette merveille de la nature est contemplée par près de 2000 visiteurs chaque année. Les mois d’août et novembre connaissent le plus d’affluence. Les touristes proviennent notamment du Cameroun, d’Espagne, d’Allemagne, de la Suisse, de la Belgique, du Liban. Beaucoup plus de France et de Chine, ces dernières années. L’ambassadeur de Chine au Cameroun s’y est déjà rendu, apprend t-on.
Les chutes étaient un lieu de purification. Mais il y a six ans, toute pratique a été interdite dans la zone. Des écriteaux disposés près de la barrière de sécurité à l’entrée d’Ekom-Nkam et à l’intérieur du village mettent en garde :
« Il est strictement interdit de faire des pratiques occultes le long du village et aux chutes».
Le message est signé du chef d’Ekom-Nkam, Ndoumbè Epanlo Théodore, dit « chef. Net ». « On a constaté que les pratiques des visiteurs avaient des répercutions sur la population locale. Les enfants n’allaient plus à l’école. On a mis fin à tous ces égorgements de poulets et autres rites », explique Thomas Ekoumdjo, un guide. Le reporter a appris qu’en fin d’année, le chef du village organise des « messes noires » sur le site touristique, afin de communiquer avec les esprits et prévenir tout incident qui pourraient survenir pendant les visites. « C’est une grande cérémonie pendant laquelle on chante, on danse et on mange », confie un riverain.
Tarzan y a fait un tour
C’est ici, près des chutes d’Ekom-Nkam, qu’a été tourné en 1982, le film « La cité perdue » avec comme acteur principal, le célèbre Tarzan, « le seigneur de la jungle ». Notre guide s’en souvient encore. Il pointe du doigt des arbres plantés alentours et déclare : « C’est sur ces branches que Tarzan se balançait ». Il raconte qu’un cinéaste anglais, en visite au site à cette époque là, a aussitôt contacté son groupe pour tourner un film dans ce décor. L’équipe a passé un mois de repérage à Ekom-Nkam, et logeait dans un hôtel à Bafang, à l’Ouest du pays. Ce vendredi du mois de novembre 2012, on découvre encore sur les murs d’une échoppe, une vieille affiche annonçant la vente du double album Dvd de Tarzan, avec « en exclusivité », des séquences du tournage sur le site des chutes.
Patrick ne cache pas sa désolation. Pour lui, le village n’a rien bénéficié du tournage du film de Tarzan, si ce n’est des petites commissions reçues par certains villageois lors du transport du matériel du réalisateur. Le guide se réjouit tout de même d’avoir vécu la réalité du tournage d’un film. Un autre groupe espagnol a réalisé sur le même site d’Ekom-Nkam, « Rugerio », un court métrage. « L’enfant malade », un documentaire de Sally Messio, journaliste à la retraite de la Cameroon Radio and Television (CRTV), a également été produit en ces lieux. Mais le village demeure telle une « cité perdue ». Aucune installation électrique.
Ange, tenancière du mini complexe bar-restaurant-hébergement « Millenium Story Transcontinental », situé tout près du site, relève que les plus nantis se sont dotés d’un groupe électrogène. Les aliments sont conservés dans des réfrigérateurs du côté de Nkongsamba, localité située à plusieurs kilomètres d’Ekom-Nkam, dans le département du Moungo. Chez Ange, seuls les plats de poulet sont disponibles au quotidien. Tous les autres mets, tels les bouillons de gibier, de crocodiles, de crabes, de grenouilles Goliathes, inscrits dans le menu, se font sur commande. La nuitée dans une chambre du complexe d’Ange coûte 3000 F. Cfa pour les populations locales. « Le prix est fixé à la tête du client pour les étrangers », confie la responsable du complexe.
Le développement à la traine
Le village souffre en outre de l’absence de couverture en réseau de télécommunication. Même si le reporter a aperçu au passage deux plaques publicitaire d’un opérateur de téléphonie mobile, il n’en est rien. Aucun réseau n’est disponible. Il faut se rendre à Melong 2, à 8,450 kilomètres d’Ekom-Nkam, pour émettre un appel. Le village souffre également de l’absence d’eau courante. En 2008, les habitants d’Ekom-Nkam ont écrit au ministre de l’Eau et de l’Energie de l’époque, pour lui soumettre leurs doléances. Sans suite. Depuis lors, les populations s’organisent comme elles peuvent pour impulser le développement dans leur village, limité à l’Est par Mounko, à l’Ouest par le fleuve Nkam, au Nord par Sundop et au Sud par Bayon.
En 2003, un comité de gestion des sites écotouristiques d’Ekom-Nkam a été mis sur pied. Il est divisé en deux groupes, dont un comité de vigilance et des guides touristiques. Soit au total un effectif de 13 personnes reparties en quatre équipes. A en croire Patrick Ndzanga, guide touristique depuis le début des années 80, les fonds collectés par le comité de gestion écotouristique sont reversés au comité de développement. Cet argent sert entre autres, à rémunérer les vigiles et les guides, à entretenir le site touristique, et à apporter de l’aide au village, qui abrite environ 300 habitants, repartis dans les trois quartiers Ndenguè, Mba Nkam et Mboué. « Le 16 mai 2012, nous avons émis des propositions au délégué départemental du Tourisme, lui demandant d’allouer des fonds pour faire de la communication autour de notre site touristique pour recevoir plus de visiteurs», relève Patrick.
Il indique que les chutes font parties du circuit touristique du Cameroun depuis 1962. En 2006, Baba Hamadou, alors ministre du Tourisme, est le seul ministre de ce département ministériel à visiter les chutes d’Ekom-Nkam. Quelques temps après son passage, un budget de 40 millions de F. Cfa a été alloué pour l’aménagement du site touristique d’Ekom-Nkam. Cet argent, nous apprend t-on, a servi à la construction des escaliers sur certaines voies qui conduisent aux chutes d’eau. Le budget a également permis la construction de cinq boucaros, des toilettes, et la création d’espaces verts. Aucune autre action forte n’a été engagée sur le site touristique d’Ekom-Nkam jusque là. Quelques organisations se sont signalées. « Mais nous attendons de voir du concret », lance, sourires aux lèvres, Patrick Ndzanga.
Mathias Mouendé Ngamo, à Ekom-Nkam