Soprano: « Nous ne sommes pas violents »
- 15 juin 2011
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Interview. Le rappeur français le plus en vue de l’heure s’est produit à Douala et Yaoundé au mois de mai dernier. Vous êtes programmé pour deux concerts à Douala et Yaoundé. Qu’est-ce qui vous a poussé à venir prester au Cameroun ? C’est vrai qu’il y avait beaucoup de gens qui me faisaient des demandes pour que je vienne au Cameroun. Le Cameroun, c’est un pays que je ne connaissais pas. C’est d’ailleurs la première fois que je viens ici. Aussi, j’ai voulu faire un petit tour de presque toute l’Afrique et le Cameroun faisait partie de la liste des pays où on voulait venir faire un concert. Donc quand on nous a fait la proposition, on est venu tout de suite. On a coutume de dire que les Marseillais ne savent pas faire la fête, le public qui sera là pourra s’attendre à quoi ? Les Marseillais ne savent pas faire la fête ? Oh la la, ces gens ne connaissent pas le stade Vélodrome. Le stade de Vélodrome, c’est le stade de l’équipe de foot de Marseille. Sans faire le trop Marseillais, c’est le stade où il y a le plus d’ambiance en France par rapport au foot. C’est vrai que moi je suis une génération de rappeurs qui est née par la scène. Donc, j’aime beaucoup la scène, j’aime beaucoup sauter partout, faire participer les gens. Donc, ça va beaucoup plus se faire dans ce délire-là que dans le style posé et chanter toutes les chansons comme sur le disque. C’est plus de l’énergie et de l’émotion. Je vais faire un maximum de morceaux que les gens connaissent. Parce que c’est la première fois que je viens ici. On va faire de nouveaux trucs, des petites surprises que je ne peux pas dire ici car des surprises restent des surprises. Et il y aura les hits du moment comme « Chéri coco », « Ferme les yeux », « Regarde moi ». Mais on fera aussi des trucs un peu à l’ancienne avec des petits psy 4 de la rime qu’on a laissé, on va essayer un peu de trot. Quels sont les artistes camerounais que vous connaissez ? Je connais la musique zouk camerounaise, africaine après le rap. Justement, j’en parlais tout à l’heure, je disais aux gars que je suis ici et je veux connaître des artistes d’ici, parce qu’on voudrait faire des vidéos pour pouvoir faire des free styles, les envoyer sur Internet, les montrer aux gens. On espère qu’on pourra organiser ça d’ici avant qu’on parte justement. Je connais surtout les premières parties de Lady B, Tony Nobody. D’ailleurs, on s’est vu tout à l’heure pour son émission. On a fait un petit free style avec Lady B tout à l’heure. Après la musique, ce que je connais beaucoup plus, c’est le foot. Le foot parce que le Cameroun fait partie des équipes que je supporte depuis longtemps grâce à Eto’o Fils et d’autres joueurs comme Stéphane Mbia qui est mon ami. Donc, c’est beaucoup plus le foot que je connais. Y a t-il un Camerounais rappeur que vous connaissez en France? Chaque fois que je pense rap camerounais et rap français, quand je mélange les deux, je pense au clip de Mac Tyler qui était venu ici pour faire le « 9 3 tu ne peux pas tester…… » Il était venu le faire là, voilà. Chaque fois que les gens viennent ici, Mokobé par exemple, il me dit waouh tu vas voir le Cameroun, ça rape ça rap, les gens ils ont une mentalité hip hop. Donc, j’attends avec impatience le concert pour justement voir les premières parties et écouter toutes les maquettes qu’on va me passer pour faire partager ma musique avec eux. Quels sont les artistes qui vont prester avec toi sur la scène ? Déjà il y a Tony Nobody, il y a Lady B, ils seront avec moi sur scène. Je n’ai pas pu amener beaucoup de monde même si j’aurais voulu venir avec beaucoup de monde. J’aurais voulu amener mon groupe, La Fouine et être entouré de plein de gens qui me sont proches. Mais là, il y a une grande star qui s’appelle Duno de la Dujad qui va monter sur scène avec nous, il est super balaise. Il y a aussi Diego. Ce sont des groupes de Marseille qui sont toujours avec moi. En dehors du concert y a-t-il d’autres projets en vue ? En dehors du concert, je prévois déjà de visiter pour voir un peu le pays. Ne pas partir en disant qu’on a vu que la scène. Ce serait bien de regarder un peu le pays, de voir comment ça se passe. Personnellement, juste pour connaître un peu le Cameroun parce que quand j’ai dit à mon père que je venais ici, il m’a dit « ah !!! Moi je connais Yaoundé. Ah oui, j’étais venu ici et nanani et nanana ». J’aimerais bien faire comme mon père plus tard, raconter à mes enfants, leur dire que moi j’étais au Cameroun. Voilà j’étais à Douala, j’étais à Yaoundé, c’est comme ci, c’est comme ça. Donc, on va essayer de visiter le pays. Je ne pense pas qu’on aura le temps de visiter plus que ces deux villes. On nous a d’ailleurs proposé de visiter la ville de Kribi, mais je ne pense pas qu’on aura le timing pour aller là-bas. Si on arrive à faire Douala et Yaoundé déjà, c’est beaucoup, mais on va essayer. Quelle image avez-vous de l’Afrique ? Moi, c’est plutôt voir les gens, comment ils vivent dans le pays. Pour être franc, quand je suis parti à Dakar, je suis parti au Mali, en Côte d’Ivoire, je suis parti chez moi aux Comores, j’ai vu qu’il y avait une énorme différence. Au Comores, on est moins développé qu’ici au Cameroun dans le sens où il n’y a pas de routes. Au Cameroun, il y a beaucoup de trucs et ça me fait vraiment plaisir. Je suis également ravi quand je vais dans un pays, que et je prends des claques, après je rentre en France et je leur dis arrêter de croire qu’en Afrique c’est ce que vous voyez là, avec des mecs qui mendient là. Non ! Il y a des jeunes qui ont des entreprises, qui montent des sociétés, il y a des jeunes qui ont beaucoup de trucs, qui sont journalistes aujourd’hui dans des grands médias. Ça c’est une très grosse fierté pour moi chaque fois quand je voyage à travers les pays africains. Le Cameroun, on m’a tellement dit du bien de ce pays qu’il fallait que je le voie. Vous y êtes, vos impressions ? Ca fait une demi-journée qu’on est là et c’est surtout l’accueil qui nous a un peu marqués. C’est que, les gens, ici, quand ils aiment beaucoup quelqu’un, ils le montrent et ça j’aime, ça me touche beaucoup. Samuel Eto’o et Lionel Messi ont déclaré qu’ils écoutaient du Soprano, est ce que ça ne t’a pas fait prendre la grosse tête ? Quand Messi a dit qu’il écoutait ma musique, j’avoue que pendant une journée j’ai eu la grosse tête, j’ai regardé mes épaules (ah ah ah). Pour vous dire sérieusement, j’étais un peu sur les nuages. Eto’o, je ne savais pas, je ne l’ai pas croisé en plus on m’a dit qu’il est au Cameroun aujourd’hui avec toute l’équipe nationale. Si j’arrive à le rencontrer, je crois que j’aurais une deuxième journée où je vais me la péter. C’est vrai que c’est énorme surtout Messi parce que Eto’o il est francophone, on va dire qu’il parle français, il comprend mes textes, mais Messi, jusqu’aujourd’hui, je suis sous le choc parce que c’est un Espagnol. C’est vrai que ça doit être mes mélodies, mes floues qui ont dû l’inspirer comme registre. Quelle représentation te fais-tu du rap ? Mon objectif, c’est de casser les clichés parce que les gens ont des clichés sur le rap qui ne sont pas vrais. Pour eux, le rap c’est obligatoirement agressif, vulgaire, violent, démagogique. Collé à tout ça, il y a des clichés de discrimination parce qu’on est noir, parce qu’on vient des quartiers. En France, c’est un gros problème pour le rap parce que politiquement parlant, le rap ne peut pas être médiatisé. Quelqu’un comme moi qui vends beaucoup de disques en France ne passe que dans une radio nationale, le reste non, parce que c’est du rap, ça vient des quartiers, c’est violent, alors que quand on écoute mes morceaux, c’est totalement le contraire. C’est vrai que moi, c’est un peu mon combat de montrer que nous, jeunes, Noirs des quartiers, on n’est pas des violents, nous aspirons à faire quelque chose de grand, à représenter beaucoup de gens, d’être productif pour la jeunesse qui nous écoute. C’est un peu le vrai combat que je fais à travers ma musique, mon image et mes interviews. Quel conseil Soprano donne aux rappeurs qui veulent être comme lui ? Moi, il y a un truc qui est très simple. J’ai mis beaucoup d’années à monter mon nom. Ça veut dire que, quand j’étais avec mon groupe, « les Psy 4 de la rime », on faisait des concerts partout, on ne gambergeait pas à être connus dès le premier jour parce que en premier il faut se faire un nom, il faut faire de la scène, il faut être professionnel, il faut être organisé, passionné, aimer sa musique, la montrer au public et se donner à fond. Je pense que ce sont les clés du succès. Surtout beaucoup respecter les gens. Comment est-ce que vous êtes entrés dans la musique ? Avant d’être dans le rap, je suis entré dans la musique grâce à Michael Jackson, Bob Marley et par la suite je suis tombé sur le hip hop avec des gens comme Snoop Doggy Dog, Kriss Kross et là je me suis dis aah!!! J’ai envie de faire la musique depuis longtemps, le hip hop colle à ma vie et je me suis dis « bon on va y aller ». J’étais avec mes deux cousins et un collègue à moi, on a monté les «Psy 4 de la rime », c’est comme ça qu’on a commencé à monter notre groupe. Et ton inspiration ? C’est très simple. Le quotidien de mes amis, mon quotidien et ce que je vois à la télé et l’actualité. Souvent on me dit que j’ai des idées un peu politiques, moi je ne trouve pas que j’ai des idées politiques, j’ai les idées du peuple. Ça veut dire que je regarde vraiment ce que je vois tous les jours en bas de ma fenêtre et tous ceux que je côtoie et après j’écris par rapport à ça. Le film « Racines » m’a donné envie surtout de connaitre mes origines et mes racines. C’est vraiment le déclic qui m’a donné envie d’écrire beaucoup sur l’Afrique, qui m’a donné envie de beaucoup investir sur mon pays aux Comores, qui m’a donné envie de toujours être Noir et fier. C’est ce film qui m’a poussé à ouvrir un livre, celui de Malcom X, ça m’a donné l’envie de connaitre l’histoire de Martin Luther King, de connaitre l’histoire d’Aimé Césaire et de beaucoup d’autres choses. Soprano a fait quelles études ? Les études que j’ai faites n’ont aucun rapport avec ma littérature. J’ai fait de longues études. Je crois que j’ai fait mécanique électrotechnique, un truc où je ne comprenais rien du tout. J’étais en cours, je ne sais même pas comment j’ai fait pour aller jusqu’à la faculté, jusqu’en Bts (Brevet de technicien supérieur). J’étais là alors que mes professeurs de français me disaient pourquoi tu vas en méco-technique ? J’ai dit que c’est parce qu’il n’y a que là qu’on m’a accepté. Maintenant si tu m’entends parler, il n’y a que quand j’écris que c’est peut-être soutenu, qu’il y a des métaphores. Mais quand je parle oh la la ! Je parle comme quand on est dans la rue. Ça veut dire que je fais des fautes dans mon vocabulaire et dans ma grammaire. Mais j’essaie de faire des efforts. Est-ce que Soprano est marié, il a des enfants ? J’ai deux enfants magnifiques. Une fille qui s’appelle Inaya et un garçon qui s’appelle Nelly. Ils me font avoir très mal à la tête parce qu’ils courent partout, c’est des puces, ils ont de l’énergie. Je les aime beaucoup et j’écris des chansons pour eux. Je fais au mieux pour jouer mon rôle de père. Par exemple, juste avant de venir, j’ai pris le téléphone pour savoir ce qu’ils ont fait et leur parler. A Marseille, avant je traînais au quartier, mais maintenant ce n’est plus le cas. Je suis à la maison avec mes enfants. Et ton temps libre… Moi je raffole de foot. Je suis beaucoup dans le foot, je passe les dimanches avec mes amis à faire des matchs dans des gymnases, on fait des « cinq cinq », du foot en salle, quelque chose qui se développe beaucoup en Europe aujourd’hui. À part le rap, mes loisirs, c’est le foot. Je suis beaucoup pris par la musique quand même. Parce que j’écris et quand je n’écris pas je compose et ça fait partie de mes loisirs. J’écoute la musique africaine, j’écoute du reggae (Tiken Jah Fakoli, Amadou et Mariam), en Allemagne j’aime Gentlemen, en rap américain j’aime Kriss Kross, Eminem, Jays-z, Two Pack comme beaucoup de gens. En variété française, j’aime Francis Cabrel, Aznavour, Balavoine, Jean-Jacques Goldman et en Afrique Positive Black Soul. J’écoute aussi Cool Place, Black Eyes Peace, ça part dans tous les sens. Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo et Armelle Nina Sitchoma (Le Jour)