Les pangolins se mettent en boule lorsqu'ils sont menacés et portent leurs petits sur le dos ©WildAid

Le mammifère le plus braconné au monde est traqué pour ses écailles vendues dans un marché illicite à destination de l’Asie. Le “juteux” trafic de cette espèce protégée, gardien de la forêt, profite aux contrebandiers et leurs complices au rang desquels de hauts fonctionnaires et des agents des institutions internationales. Enquête.

Un matin du mois d’août 2023, une riveraine de Mouanko, localité située dans la région du Littoral au Cameroun, découvre un pangolin non loin de son domicile à Yadibo. Au contact humain, l’animal s’enroule sur lui-même. La restauratrice toute heureuse s’en saisit et l’inscrit dans le menu de son restaurant le lendemain. La nouvelle de cette capture peu ordinaire fait rapidement le tour de la commune côtière et surprend plus d’un. Au bureau de la Conservationdu Parc National de Douala-Edéa, on n’en revient pas. D’autant plus que cette espèce animale protégée de classe A, n’a jusqu’ici pas été recensée dans le suivi écologique. Mais un habitant de Yoyo se rappelle avoir consommé la chair très prisée de pangolin six ans plus tôt, en 2017.

Des sexagénaires vivant dans cette localité de la Sanaga-maritime se souviennent aussi qu’il y a cinquante ans, les pangolins étaient visibles dans la zone. «Quand nous étions enfants, on voyait parfois des pangolins et on en consommait. Aujourd’hui c’est très rare. Il y a au moins deux générations après nous qui ne verront les pangolins que dans des livres», déplore Samè Diyoukè, l’un d’eux. Pour lui, cette espèce est en voie d’extinction totale à Mouanko. La preuve, depuis l’ouverture de son restaurant en 2019, aucun chasseur n’y a proposé de la viande de pangolin.

Loin de Mouanko, dans les localités comme Muyange et Bunyakiri, proches du Parc National de Kahuzi-Biega en République Démocratique du Congo, le mammifère écaillé ne manque pas souvent à table. Seulement, la demande a augmenté ces dernières années, constate une équipe de chercheurs de International Formulae Group. Leur rapport d’étude sur l’exploitation du pangolin révèle que les demandeurs de l’animal viennent de plus en plus des grandes villes comme Bukavu, Goma, Kisangani et parfois des pays étrangers. Le pangolin est recherché pour sa viande, mais davantage pour ses écailles. De quoi renforcer l’anxiété des défenseurs de la biodiversité, inquiets de voir l’ampleur du trafic de pangolin. L’Afrique de l’Ouest et du Centre étant devenue l’épicentre du trafic vers l’Asie.

2,7 millions de pangolins tués chaque année en Afrique Centrale

D’après une base de données (consultée en septembre 2023) de Center for Advanced Defence Studies, C4ADS, un organisme de recherche américain chargé de vaincre les réseaux illicites qui menacent la paix et la sécurité dans le monde, plus de 26 500 kg d’écailles de pangolins en provenance de l’Afrique Centrale ont été saisies entre 2013 et 2023. Soit un peu plus de 66 000 pangolins sortis des forêts d’Afrique Centrale en dix ans. Ce résultat sur la population décimée est obtenu sur la base de calcul de l’Organisation mondiale des douanes (2013).  Elle estime qu’il est nécessaire de tuer 3 à 4 pangolins pour produire 1 kg d’écailles. Aussi, un groupe de chercheurs chinois sous la direction de ZM.Zhou  a estimé le poids des écailles d’un pangolin à  0,360,51 kg.

Les données de C4ADS renseignent sur 116 saisies de pangolins effectuées entre le 1er janvier 2013 et le 9 juillet 2023. Ces cargaisons sont parties du Cameroun, de la RDC, du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale. Sur la base de ces données, dans la sous-région, le Cameroun et la RDC sont en tête du classement des pays de départ des pangolins trafiqués. Ils devancent le Congo, le Gabon et  la Guinée Equatoriale, pour lesquels les données de saisies sont rares.

Cette absence de données se justifie par la nature des informations rapportées par l’agence américaine, qui n’utilise que des données accessibles au public. « Cela peut être dû au fait que les autorités ne sont pas au fait de ce trafic. Mais on se rend compte au Cameroun que des écailles viennent de ces pays-là. Comme cette cargaison de 600 kg d’écailles en provenance de Bangui qui avait été saisie à Douala. Or, on n’entend pas parler d’arrestations en RCA», explique Eric Kaba Tah. Il est le directeur adjoint de The Last Great Ape Organization Cameroun Laga, par ailleurs coordonnateur du réseau Central Africa Bushmeat Action Group (Cabag). Engagé depuis 15 ans contre le trafic des espèces animales protégées, Eric Kaba Tah indique que pour la seule année 2023, plus de 250 Kg d’écailles de pangolins ont été saisis au Cameroun et neuf trafiquants interpellés.

Loin des estimations obtenues sur la base de données de C4ADS, la revue Conservation Letters, considère jusqu’à 2,7 millions (675 000 Kg d’écailles) de sujets tués par an et identifie le pangolin africain comme le mammifère le plus braconné au monde, loin devant l’éléphant beaucoup plus médiatisé. Conservation Letters reconnaît également les pays mentionnés par C4ADS comme faisant partie des principaux points d’origine des produits. La revue y ajoute la RCA et présente le Nigéria comme point d’embarquement des écailles pour l’Asie (la Chine et le Vietnam principalement).

Un juteux trafic

Le réseau du trafic des écailles de pangolin vers l’Asie est plutôt très bien ficelé avec pour point de départ, des forêts africaines. Ces prédateurs, de plus en plus nombreux, passent parfois plusieurs jours en brousse pour chasser. Le butin est tout aussi conséquent du fait de la vulnérabilité du petit mammifère qui, en guise de seule protection, s’enroule sur lui-même face au danger. Il est aussitôt collecté par les chasseurs.  Dans des villages situés autour de la forêt de Yangambi au Nord-Est de la RDC par exemple, près de 90% des jeunes locaux sont investis dans cette chasse illégale, à en croire Jonas Kambele Nyumu. Ce chercheur de l’Université de Kisangani a fait des questions de recherche sur la conservation du pangolin, une spécialisation.

La chair de l’animal capturé est destinée principalement à la consommation locale. Une viande prisée et vendue bon marché. En RDC, Jonas note qu’un petit pangolin avec écailles est commercialisé à environ 6 dollars Us (3 700 F Cfa). C’est quasiment le même prix au Cameroun et en RCA. Un prix 300 fois moins cher qu’en Chine, où à la vente finale, un restaurateur peut débourser jusqu’à 1800 dollars (près de 1 114 000 F Cfa) pour se procurer le petit animal sur pied.

Le prix des écailles revendues aux trafiquants est bien plus dérisoire. « Les chasseurs les bradent sans peser à 3 ou 4 dollars, l’équivalent de 8 ou 10 kg», note Jonas Kambele Nyumu. Soit près de 0,4 dollars (250 F Cfa) pour un kg d’écailles de pangolin. Sur le marché international pourtant, cette « mine» est vendue jusqu’à 1000 dollars  (près de 600 000 F Cfa) le kg, soit plus de 2 000 fois plus cher que dans le pays d’origine. Sur cette base, le commerce illégal des écailles de 2,7 millions de pangolins sortis des forêts de l’Afrique Centrale génère chaque année au moins 675 millions de dollars de revenus illicites (419 151 780 000 F Cfa) aux trafiquants et leurs complices.

Le Nigéria, plaque tournante

Une fois la collecte des écailles effectuée par les intermédiaires dans les zones de grands braconnages en République du Congo, au Cameroun, au Gabon, en RCA, en RDC et au Libéria (Afrique de l’Ouest), la route vers l’international se dessine. Le rapport Out of Africa cartographie le parcours des contrebandiers. Les marchandises sont conditionnées pour prendre la route du Nigéria. Elles sont chargées à bord de petites voitures, de  bus, de camions, pirogues ou bateaux. Il arrive aussi que les trafiquants effectuent le voyage à pied. Ils soudoient au passage les autorités pour assurer la traversée des cargaisons frauduleuses aux frontières. D’après des Ong de lutte pour la conservation comme Aboyerd ou Laga, le produit illicite est souvent dissimulé dans des sacs, au milieu d’autres marchandises comme le bois ou des produits alimentaires.

La route du trafic des écailles de pangolins de l’Afrique centrale vers le Nigéria. Source : Out Of Africa

Le Nigeria qui reçoit toutes ces cargaisons se présente alors comme une plaque tournante du trafic de pangolins sortis des forêts de la sous-région Afrique centrale. En témoigne cette saisie unique réalisée par la Douane de Hong-Kong en juillet 2018 de 7.100 Kg d’écailles (soit près de 22 864 pangolins). D’après la base de données compilée grâce à l’assistance du groupe de spécialistes des pangolins de la CSE de l’UICN, les écailles exportées du Nigéria avaient pour origine le Cameroun, la RCA et la RDC.

Au Nigeria, d’après le rapport Out of Africa, un agent prépare le connaissement maritime qu’il modifie volontairement pour éviter toute suspicion. Il s’agit d’un document remis par le transporteur maritime au chargeur (ou son représentant) en reconnaissance des marchandises que son navire va transporter. Les responsables des douanes sont soudoyés afin de ne pas inspecter les cargaisons à l’embarquement à bord du bateau ou de l’avion. Destination: la Malaisie en Asie, avec à l’occasion des transits à Singapour, Lao et Indonésie. Des cargaisons entament un ultime voyage pour rejoindre le marché des consommateurs finaux des écailles de pangolin en Chine et au Vietnam.

Tous les chemins mènent en Asie

Une autre chaîne d’approvisionnement des trafiquants existe. Elle s’appuie sur des programmes d’élevage de pangolins pour dissimuler l’activité de la traite comme une activité commerciale ostensiblement légale. Pourtant, «les pangolins ne survivent pas ou ne se reproduisent pas facilement en captivité », rapporte la convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction, (Cites).

Bien que l’Asie soit le continent de destination de choix, l’analyse des données de C4ADS relève aussi un commerce intérieur des espèces dans les pays d’origine qui servent également de pays de transit. Le continent européen arrive dans le dernier carré des destinations de choix. Aucune ligne vers les Amériques n’est recensée. 

Tous les moyens de transport sont utilisés dans le circuit du commerce illégal des espèces protégées. Les voies aériennes et maritimes étant les plus sollicitées selon le rapport  Tipping the scale, une étude de C4ADS.  « Alors que 70 % des cas de trafic intercontinental liés à l’Afrique reposent sur le secteur du transport aérien, 81 % du poids total des écailles de pangolins font l’objet d’un trafic intercontinental via le secteur du transport maritime», détaille le rapport. Les cargaisons d’écailles de pangolin liées au Cameroun sont le plus souvent saisies dans les ports aériens et maritimes de Douala, Yaoundé ou aux postes-frontières terrestres vers les pays voisins.

D’après une base de données de saisies de ladouanecamerounaise, entre 2012 et 2016, la compagnie Ethiopian Airlines a été la plus sollicitée par les trafiquants au départ de Douala. Elle est secondée par Kenya Airways. Un agent de la douane, ayant requis l’anonymat, confie que les acteurs du commerce illicite conditionnent souvent ces écailles de pangolin sous forme de poudre, dissimulée dans des boites de lait. Une saisie du genre, de 18 kg de poudre, a eu lieu en 2016 à l’aéroport international de Douala lors d’un contrôle pendant le traitement d’un vol d’Ethiopian Airlines. Destination finale du vol, la Chine en Asie, avec transbordement à Addis Abeba.

Outre le goût de la chair de ce mammifère apprécié dans les restaurants en Chine ou au Vietnam, les écailles de pangolin sont prisées dans la médecine traditionnelle chinoise pour ses vertus curatives jusqu’ici non démontrées scientifiquement. On prête aux écailles de pangolin, le pouvoir de soigner une trentaine de maux, des troubles érectiles aux cancers les plus graves. Essentiellement constituées de kératine, les écailles de pangolin auxquelles on attribue aussi des propriétés magiques sont davantage utilisées dans la cosmétique.  Le 09 juin 2020, la Chine a cependant annoncé le retrait des ingrédients issus du pangolin de la liste officielle des produits de la pharmacopée traditionnelle promues par le gouvernement.

Corruption

En juillet 2023, à l’esplanade de la mairie de Douala 3e, un fonctionnaire, d’un air contrarié, dénonce les dérives des agents de la faune au cours d’une causerie éducative avec des leaders d’associations. « La brigade de contrôle fait tout sauf contrôler. Tout ce qui les intéresse, c‘est de vendre les espèces », confie-t-il. Il fait comprendre que ces agents de la brigade sont complices des trafiquants. Secret de polichinelle selon ses propos, à voir les espèces vendues dans nos villes. Souvent témoin de manigances faites par le personnel impliqué dans le contrôle, il n’en dit pas plus sur le mode opératoire, par souci de discrétion.

D’après le rapport Out of Africa, jusqu’à 70% des frais facturés par les agents de dédouanement corrompus sont destinés à des pots-de-vin versés à des fonctionnaires du gouvernement et au personnel d’entreprises de transport privées impliqués dans le processus de numérisation des conteneurs. Des zones forestières où les animaux sont traqués, capturés et tués aux portes de sortie des Etats, les trafiquants doivent passer par divers points de contrôle. Pourtant, d’importantes quantités d’espèces et leurs dérivées sorties clandestinement des pays, sont interceptées seulement à l’extérieur.

A Douala au Cameroun, les tentatives de prise de contact avec les responsables du ministère de la Forêt et de la Faune (Minfof) ont été vaines. Toutefois, les faits de corruption sont souvent reconnus et sanctionnés au sein du ministère. 13 agents, notamment des techniciens et ingénieurs des Eaux et forêts ont reçu en 2021, des avertissements ou des blâmes pour des fautes diverses. Complicité d’exploitation forestière illégale, laxisme dans l’exercice de leurs  fonctions et corruption font partie de ces faits consignés dans le rapport 2021 de la Commission  nationale anti -corruption (Conac). Si l’organisme public ne mentionne pas de manière explicite les espèces animales protégées, il faut noter, comme le montrent certaines études, que le transport illégal de bois cache souvent le trafic des espèces animales protégées. 

A l’évocation de la corruption au niveau de la Douane camerounaise, l’agent de l’aéroport international de Douala tombe des nues. Selon lui, il est impossible pour les douaniers de ce site de se livrer aux pratiques de corruption, car le mécanisme de transparence mondial facilite le constat des défaillances. « Depuis que je travaille ici, je n’ai pas vu d’actions tordues. Des colis de [trafiquants] partis de Douala peuvent être interceptés n’importe où dans le monde et on saura que c’est parti de Douala. Vous imaginez les conséquences? Aucun Chef ne peut faire passer», s’en défend-t-il. Il explique par ailleurs que les agents affectés à la surveillance procèdent par ciblage pour repérer les suspects. Les comportements des individus sont passés au scanner.

Mais il demeure difficile de mettre la main sur les propriétaires des colis saisis. Pour cause, informe notre source, ils restent en arrière plan et paient les services des agences de messagerie pour effectuer les envois de paquets contenant le produit prohibé. Si la Douane de l’aéroport international de Douala a saisi 471,38 Kg d’écailles de pangolin à destination de la Chine entre 2012 et 2016 (dont 447,45 Kg pour la seule année 2013) la source en interne révèle que depuis 2019, des saisies d’écailles de pangolins n’ont plus été réalisées à Douala. Le trafic n’est pour autant pas fini, précise-t-il. Et d’indiquer que dans le milieu, « on dit que les contrebandiers ont changé de technique. On travaille à les rattraper. Ils peuvent sortir les écailles par la route, à travers d’autres frontières », pense le douanier.

Des officiels impliqués

D’autres facteurs comme la porosité des frontières aggravent le trafic. Ce phénomène est d’autant criard que plusieurs pays de la sous-région font face à une instabilité sécuritaire. « La situation sécuritaire inquiétante du pays ainsi que la répétition des crises ont rendu les frontières poreuses. Ce qui donne l’opportunité aux braconniers d’intensifier leurs actions, rien ne les inquiète », s’en désole David Ouangando, le directeur de la Faune et des aires protégées au ministère des Eaux et forêts de la RCA. Le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique centrale Unoca souligne également cet aspect dans son rapport  «Braconnage et trafic d’espèces sauvages »

Par dessus toutes ces influences, il y a ces appétits voraces des individus et groupes d’individus spécialisés dans ce commerce illicite, la 4e  activité de criminalité transnationale organisée la plus lucrative au monde, d’après Nature et crime du Fond international pour la protection des animaux Ifaw. Une minorité, déterminée à piller les richesses de ces forêts du bassin du Congo. Pour la seule journée du 18 janvier 2017, d’après le sommier des infractions  du Minfof, un individu chinois a été interpellé avec 5 040 kg d’écailles de pangolin en provenance du Cameroun. Soit une équivalence de 20 160 pangolins massacrés. Des agents des institutions internationales sont aussi accusés de participer au trafic. L’exemple des soldats de la Mission de Nations-Unies pour la Stabilisation de la République Démocratique du Congo (Monusco), cités par  International Formulae Group.

Depuis quelques années, de hauts fonctionnaires dans certains pays sont aussi accusés de se servir des espèces pour s’enrichir sur le dos de l’Etat. En août 2021, Cosma Wilungula Balongelwa, directeur général de l’Institut congolais de la conservation de la nature (ICCN) a été suspendu de ses fonctions par le ministre de l’Environnement et de la Conservation de la nature. Accusé de manquements graves à ses fonctions notamment des pratiques de détournement et de corruption, l’enseignant par ailleurs pasteur, a démissionné quelques semaines plus tard.

En septembre 2023, ce fonctionnaire et deux de ses anciens collaborateurs de l’ICCN (Léonard Muamba Kanda et le directeur-coordinateur de l’Autorité de gestion de la RDC pour la Convention Cites et conseiller juridique de l’ICCN, Augustin Ngumbi Amuri) ont été déclarés Persona Non Grata pour l’entrée aux USA. Ils ont «abusé de leurs postes officiels en s’impliquant dans le trafic de chimpanzés, de gorilles, d’okapi, d’autres espèces sauvages protégées de la Rdc, principalement vers la République populaire de Chine, en échange de pots-de-vin », peut- on lire dans le communiqué actant cette décision.

« Le problème de la diminution des espèces fauniques en Afrique est intimement lié à la corruption. La corruption est en train de tuer ces espèces protégées. Pour mener une lutte efficace contre le trafic de ces espèces, il faut lutter contre la corruption », martèle Eric Kaba Tah. Son Ong, Laga, intervient pour faire appliquer la loi en matière de criminalité faunique. Laga a initié un modèle d’intervention qui est appliqué dans huit pays d’Afrique dans le cadre du réseau Eagle, Eco Activists for Governance and Law Enforcement.

Pourquoi protéger le pangolin ?

Quand il décide en 2015 de se présenter au concours de l’Ecole nationale des Eaux et des forêts du Cameroun, Ranger (nom d’emprunt), l’écogarde, ne se doute pas des enjeux de la protection de la biodiversité. Sous le charme de la forêt et de ses richesses, il s’inquiète désormais pour la survie des espèces y compris le pangolin. « A voir le rythme galopant du trafic, si nous ne luttons pas pour préserver la biodiversité, certaines espèces vont disparaître et les générations futures ne pourront pas en profiter », s’attriste-t-il.

Lire Aussi :  interview de l’éco garde Ranger

Huit espèces de pangolins connues sont recensées dans le monde (des scientifiques ont récemment découvert une neuvième espèce). A cause de la chasse effrénée et d’autres facteurs comme la destruction de leur habitat, toutes les espèces connaissent un déclin global à quelques différences près. Si l’on s’en tient aux données de l’UICN, 37,5% des espèces (essentiellement asiatiques) sont en danger critique d’extinction. 37,5 % sont classées en danger et 25% sont vulnérables. En Afrique centrale, l’on retrouve le Pangolin de Temminck, le pangolin Géant, le pangolin à ventre Blanc encore appelé petit pangolin et le pangolin à ventre noir ou à longue queue.

Le chercheur congolais Jonas Kambele et des confrères ont fait le constat du déclin de ces différentes espèces au bout d’une étude sur la fréquence d’apparition des pangolins. En  2020, 2021 et 2022, ils ont installé 72 caméras trappes dans les forêts de Yangambi, situées dans la province de Tshopo, au centre-nord de la RDC. Les appareils n’ont capté que deux individus de pangolins géants, contrairement aux autres espèces filmées en grand nombre. La preuve, d’après ce consultant du Centre pour la recherche forestière internationale (Cifor), que le pangolin géant se raréfie. C’est pourquoi il faut de son point de vue consolider les mesures de lutte contre le trafic pour sauver le petit animal aux allures exotiques.

Si le pangolin venait à disparaître, ce serait en effet un désastre pour les forêts de la sous -région.  « Le pangolin est le gardien des forêts. Sortez- le de la forêt, et vous verrez que la forêt va disparaître », martèle Valéry Binda, le directeur exécutif d’ Aboyerd. Son organisation milite pour soutenir la conservation de la faune et assurer un avenir sûr aux communautés riveraines des aires protégées. Par leur alimentation, les pangolins contribuent à la survie des forêts, dit-il. « Il faut savoir que le pangolin mange 200 000 fourmis et termites par jour. Donc c’est 70 millions de fourmis et termites par an. Si on perd ces pangolins, on risque d’avoir une surpopulation de fourmis et termites, des dégâts qu’on ne pourra pas forcément maîtriser », démontre Jennifer Biffot, la directrice des programmes Afrique centrale de Wildaid. L’Ong a lancé en janvier 2022, une campagne de sensibilisation sur le sujet au Gabon et au Cameroun.

Wildaid espère par ce moyen, amener le plus grand nombre de personnes à connaître et comprendre le rôle écologique du pangolin.  « Il y avait un besoin de communiquer dessus, parce que lorsque nous sommes allés vers les Camerounais, ils ne savaient rien sur le pangolin à part que c’était une bonne viande», explique Jennifer Biffot.

Lire Aussi : Interview Jennifer Biffot, la directrice des programmes Afrique Centrale de Wildaid

Les obstacles à la lutte

Mais la sensibilisation des masses n’est pas la seule mesure à prendre pour faire reculer le trafic. Plusieurs autres actions sont attendues. « Les cadres sont plus nombreux que ceux qui font le terrain. Ce qui fait qu’on ne peut assurer le contrôle efficacement et il y a aussi un manque cruel d’équipements », déplore David Ouangando en RCA. Le tableau est similaire dans les autres pays. Au Cameroun, il est prévu qu’un écogarde couvre une superficie d’au moins 5 000 ha par an. Mais les agents ne sont pas nombreux. Avec une superficie de 262 935 ha,le parc national de Douala-Edéane dispose que de 19 écogardes, trois fois moins que le nombre d’agents approprié pour couvrir la zone. Les capacités des Ong sont aussi limitées en matière d’initiatives de conservation. Aboyerd par exemple reconnaît ne couvrir qu’un tiers du Parc national du Mbam et Djerem.

L’insuffisance des formations des éco-gardes et agents des Douanes, la souplesse de la loi et les crises sécuritaires dans les pays de la sous-région figurent également dans le long chapelet des obstacles à la protection du gardien des forêts, en voie d’extinction totale. D’ailleurs, presque toutes les espèces protégées sont menacées d’extinction, soutient l’expert en Conservation, Eric Kaba Tah. Il relève que le rhinocéros noir d’Afrique est déclaré éteint depuis une dizaine d’années déjà. Il avait pour dernier refuge le Cameroun. « Le guépard n’est pas déclaré disparu, mais on ne voit plus de traces. Il y a moins de 300 lions au Cameroun et ces statistiques datent de dix ans », déplore l’expert, sur un ton mélancolique.

Mathias Mouendé Ngamo et Philomène Djussi (Cameroun)

avec la contribution de Séverin Thejoce Garba (Rca)

Ce travail a été réalisé dans le cadre du Projet d’enquête sur la gouvernance des ressources naturelles en Afrique Centrale (ODACA), initié par ADISI-CAMEROUN.