Une habitation construite dans une zone de mangrove au lieu-dit West End à Mambanda

Avec des pertes de superficies estimées à 6.2 % par an, soit 31% sur les 5 dernières années, Douala-Bonabéri connaît le plus fort taux de destruction des mangroves de l’Estuaire du Wouri. La crise socio-économique dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’insouciance des populations et des projets de l’Etat font partie des causes majeures de pression sur les mangroves dans l’arrondissement de Douala 4e.

Des coups de marteau retentissent. Au-dessus de la charpente en bois, deux hommes sont à l’œuvre pour la construction d’une maison en matériaux provisoires. Nous sommes au lieu-dit “West End” à Bamenda beach au quartier Mambanda à Bonabéri, dans l’arrondissement de Douala 4e. Ici, les mangroves qui bordent le fleuve Wouri disparaissent au rythme des bâtisses qui naissent.

Une piste aménagée avec de la boue séchée mène au domicile de Lucy Agbor. Des grands arbres aux racines aérifères trônent au-dessus du toit. La maison de fortune croule sous le poids de l’âge et des intempéries. La cour est boueuse. Il faut poser le pied avec dextérité. Le sol s’affaisse à mesure que l’on marque les pas.

Cet après-midi, Lucy, assise devant sa maison, prépare le filet pour une partie de pêche, sa principale activité. Elle attend patiemment la marée haute qui, à en croire des habitants de cette zone, s’annonce. “Aux environs de 19h, il n’y aura plus moyen de circuler ici. Ce sera la marée haute. On sera encerclés par les eaux, qui entrent également dans les maisons et ne repartiront que vers 8h demain”, témoigne Stanley Imjbo, de nationalité nigériane. Il y vit depuis 30 ans.

Les racines des arbres qui ont échappé pour le moment aux coupes, forment une  barrière naturelle qui protège sa maison de la fureur des vagues.

La coupe de mangroves

La parcelle de terrain de Stanley s’étale sur 300m2. Il affirme avoir déboursé 300. 000 F Cfa pour acquérir cet espace auprès d’un  autochtone Douala en 1995. Pour s’y installer, Stanley a coupé des arbres et a remblayé le terrain.

Augustin Issa, l’époux de Lucy Agbor, a fait autant à son arrivée il y a environ 30 ans. “C’était la mangrove partout. Il n’y avait que de l’eau et la forêt”, se souvient-il. Il ajoute qu’à cette époque, seulement deux habitants y résidaient. Augustin, dont la parcelle de terrain est visiblement trois fois plus grande que celle de Stanley, dit l’avoir achetée auprès d’un autochtone de Douala, à hauteur de 500 000 F Cfa.

Ces actions humaines, vont en contradiction avec la  loi No 94/01 du 20 Janvier 1994 portant Régime des forêts, de la faune et de la pêche, qui qualifie les mangroves de zone écologique fragile qui doit être protégée, et “ dont l’exploitation reste interdite« .

D’après un article de Forest news de juillet 2020, la zone de mangrove autour de Douala dénommée estuaire du Wouri est la plus décimée. Elle affiche un taux de destruction de l’ordre de 6.2 % par an sur la zone de Douala-Bonaberi, soit 31% sur les 5 dernières années . Au niveau national, souligne la même source, le Cameroun enregistre une disparition estimée à 1% par an. En 2018, le Minepded a révélé dans le document intitulé “Stratégie nationale gestion durable des mangroves et autres écosystèmes côtiers au Cameroun” que le pays a perdu près de la moitié de la superficie des mangroves en 30 ans. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP), a tiré la sonnette d’alarme en 2007, en indiquant dans son rapport que près de 70 000 hectares de forêts de mangroves du Cameroun ont été décimés radicalement entre 1980 et 2006.

Crise anglophone

Comme à West End, les habitants de Bonabomè, un autre quartier de l’arrondissement de Douala 4e, vivent dans les mêmes conditions, voire pire. Ici, des tas de boues séchées servent à la fois de voies de circulation et de matériaux de construction pour la fondation des maisons.

Des trous profonds sont visibles à chaque pas. “ Deux enfants sont morts ici il y a quelques jours. C’était lors de la marée haute”, témoigne Rafiatou Mfoye, une déplacée interne en provenance de Ndop, dans le Nord-Ouest.

Comme à West-End, le quartier Bonabomè est majoritairement habité par les personnes déplacées internes (PDIs) de la crise anglophone du fait de la proximité de la région du Sud-Ouest au quartier Bonabéri. Des données de l’Office des Nations Unies pour les Refugiés (UNHCR) estiment à plus de 975 000 (septembre 2022) le nombre de déplacés internes au Cameroun. Environ 81 298 sont recensés  dans la région  du Littoral en provenance du Sud-Ouest.

À la mairie de Douala 4ème, on tergiverse sur le nombre exact de PDIs dans ces zones. Dans une de ses activités, l’Ong Lodge an Idp a produit un rapport sur l’évaluation multisectorielle des besoins des déplacés internes vulnérables dans les quartiers à bonaberi. Sur les 29 quartiers sélectionnés, l’association a dénombré 1 932 PDIs vulnérables. Mambanda occupe la place de choix car environ 18% de déplacés vulnérables y sont installés.

Des bornes pour délimiter la mangrove

Pour délimiter les zones de construction au quartier Mambanda, une délégation constituée du préfet, du sous-préfet, du chef du quartier Mambanda et autres officiels a décidé d’ implanter des bornes en 2008. Sa majesté Ngolle Théophile, le chef du bloc 28, fait savoir qu’il a été interdit aux populations de s’établir au-delà des limites. “C’était des bornes en ciment d’environ 1 mètre de hauteur. Elles allaient du lycée de Mambanda jusqu’à Alpicam. Et même jusqu’au bloc 39, au lieu-dit école communale”, renseigne-t-il.

Un projet de reboisement a également été évoqué lors de cette descente. Mais jusqu’ici, rien n’a été fait. Des maisons ne cessent de croître dans ces zones interdites d’habitation dans ce quartier qui s’étale sur environ 500 hectares et subdivisé en 39 blocs. Dans une publication de Douala Today.com, Joseph Tufoin, chef du quartier Mambanda, estimait sa population à 132 000 habitants en 2013. En indiquant que celle-ci augmente de 5% chaque trois mois.

A la sous-préfecture de Douala 4e, aucun document sur la descente de 2008 et le projet de reboisement n’est disponible. Michel Welland, le secrétaire particulier du sous-préfet, reconnaît que Joseph Kiari, le chef de bloc 27 a plusieurs fois saisi la sous-préfecture pour dénoncer la pénétration des habitants dans les mangroves et les ventes de terrains illicites .

Entre 2009 et 2022, Joseph Kiari a adressé une dizaine de correspondances aux autorités administratives. Des missives qui ont été à l’origine de plusieurs réactions épistolaires des autorités et ont amené le préfet du département du Wouri à signer en juillet 2010, un décret portant création d’une commission chargée de la restauration et de la sécurisation de la mangrove à Mambanda. L’article 2 dudit décret indique que “les travaux de la commission (….) prennent fin avec le dépôt du rapport constatant l’évacuation définitive des risques de dégradation de cette mangrove”.

Une première mission de la brigade des inspections environnementales du ministère de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable (Minepded) pour le Littoral a constaté en 2009, la destruction de la mangrove sur une bande de terrain de près de 600 mètres de large et de plus de 1500 mètres de long au bord du fleuve Wouri au bloc 27.

Dieudonné Mbogning et Paul Nanfack, les deux inspecteurs de l’environnement qui ont signé le rapport de mission avaient recommandé que les personnes installées sur ce site soient déguerpies et que les personnes coupables d’actes de dégradation soient convoquées et entendues. Ils avaient également suggéré qu’un plan de restauration des zones dégradées soit envisagé. “Ces mesures pourraient aussi concerner les blocs 17, 18, 23, 24, 28 et 30”, relève le document en notre possession.

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Projet de reboisement porté disparu

Un autre procès-verbal d’une commission Ad hoc dresse les constats similaires en 2012 en relevant que les populations ont vandalisé des bornes implantées. Le document indique que le sous-préfet a rappelé aux vendeurs illicites de terrain dans la mangrove que le domaine fluvial ne peut être vendu.

Dix ans après, la situation n’a pas changé à Mambanda. Aucun projet de reboisement n’a pris corps . Les ventes illicites de terrain et constructions anarchiques prospèrent toujours. Le chef de bloc 27 poursuit le plaidoyer, en vain. Il a d’ailleurs été cité à comparaître par un des vendeurs illicites de terrain dans la mangrove.

Cependant, des Ong œuvrent pour le reboisement des mangroves dégradées dans l’arrondissement de Douala 4e. C’est le cas de Watershed Task Group (WTG). “Nous avons engagé un projet de reboisement dans la zone de Douala 4e, précisément dans les villages Bonamikano et Djebale. Nous comptons également reboiser sur le site du Ngondo.”, indique Nina Lebogo, cheffe des projets sur l’énergie actuellement en appui sur les projets de reboisement à WTG. Ce projet qui est encore à sa phase pilote va s’étendre jusque dans toutes les zones où les mangroves sont détruites à Douala.

William Lemnyuy, le délégué départemental de Minepded, souligne que  des projets de régénération de la mangrove et de sensibilisation de la population ont été initiés. “Nous avons commencé avec le lieu-dit Bois des singes. Nous allons certainement avancer à BonaberiL’idée c’est de ne pas les déguerpir, mais on donnera à chacun une plante à planter”, informe-t-il. L’initiative est quasiment la même à la délégation régionale de la Forêt et de la faune qui relève que “L’Etat a mis en place un certain nombre de projets qui portent sur la sensibilisation, la foresterie communautaire et privée”, confie Georges Amougou, le délégué régional.

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Projets gouvernementaux 

Les populations ne sont pas les seules qui convoitent les zones de mangroves à Bonabéri. Dans un avis  datant du 28 mars 2022, le ministère des Domaines, du cadastre et des affaires foncières (Mindcaf) a déclaré d’utilité publique les travaux de développement des activités portuaires aux lieux-dits Mambanda , Alpicam et alentour dans l’arrondissement de Douala 4e d’une superficie de 96 ha 92a et 64ca.

Le rapport de mission de descente sur le site de destruction de la mangrove  au bloc 27 que nous avons obtenu date de septembre 2009 et fait mention de la zone de convoitise à Mambanda-Bonabéri. Elle est répartie en deux déclarations d’utilité publique (Dup) non loin du fleuve Wouri pour l’extension du port dans cette zone. Il s’agit d’une Dup de 120 hectares et une autre Dup de 22 hectares à Alpicam et ses alentours.

Un article publié sur le site Mongabay.com  le 23 mai 2022 note que des extensions du Port de Douala menacent la mangrove. Selon  cet article, ce projet  dont la réalisation est prévue de 2020 à 2050, aura des conséquences dans tout l’estuaire du Wouri, comme c’est le cas avec les industries installées dans la zone. « Ces industries empêchent la régénération, réduisent la zone de protection que joue la mangrove, l’air n’est pas purifié (…) Nous sommes dans une zone économique de production, avec 3 cimenteries construites à un même endroit. La santé des hommes est vraiment menacée”, confie Michelle Mongue, cheffe service hygiène et assainissement à la mairie de Douala 4.

D’après l’experte, la zone industrielle n’a pas de station d’épurement des eaux et cette responsabilité incombe à la délégation du Minepded, souligne t-elle. A la délégation, on évoque le volet développement durable, dont l’un des axes est le développement économique. “ Dans le développement durable, il y a 3 piliers. Le volet environnement, social et économique. Nous devons toujours nous rassurer qu’il y a un équilibre entre ces 3 cercles”, souligne William Lemnyuy.

Pour une meilleure gestion, l’on parle de compensation environnementale. “Je suis sûr que si on va regarder dans les termes de références des projets, on trouvera des compensations environnementales qui ne sont pas des moindres.”, relève-t-il.

Dr Ernest Kotte Mapoko, est enseignant chercheur à l’Institut des Sciences Halieutiques de l’Université de Douala à Yabassi, spécialité Écologie et Biodiversité des milieux aquatiques. Pour lui, ces compensations peuvent être la plantation du gazon avec des arbres décoratifs ou fruitiers pour avoir le même service que celui de la forêt. Mais “Si l’on peut éviter l’impact de la destruction de la mangrove, qu’on le fasse. Sinon, on essaie de réduire l’impact de la destruction de la mangrove. Mais si on ne peut ni éviter ni réduire cela, il faut compenser”, a-t-il conclu .

Mathias MOUENDE NGAMO et Michèle EBONGUE

Cette enquête a été réalisée en collaboration avec le quotidien Le jour et DataCameroondans le cadre du projet Open Data for environment and Civic Awareness in Cameroon (ODECA), initié par ADISI-CAMEROUN. Le projet est financé par le Centre for Investigative Journalism (CIJ) de l’Université de Londres dans son programme OCRI (Open Climate for Reporting Initiative)