Didier Yimkoua, environnementaliste

Depuis quelques jours, des pluies diluviennes s’abattent dans la ville de Douala causant des inondations dans certains quartiers de la capitale économique du Cameroun. D’importants dégâts matériels sont à déplorer et l’on enregistre des pertes en vies humaines. Le militant écologique fait l’autopsie de ce phénomène.

Quelle analyse faites-vous de ce phénomène d’inondation qui persiste dans la ville de Douala?

Nous ne sommes pas surpris du phénomène d’inondation qui persiste dans la ville de Douala. Les prévisions de l’observatoire national des changements climatiques se réalisent. Dans son bulletin du mois de juillet 2021, il prévoyait des fortes précipitations suivies des inondations dans certaines villes du Cameroun, avec risques de chutes des poteaux électriques et effondrement de terrain. Hélas on en est là. Bref les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions.

Selon-vous, cela est-il dû à une mauvaise politique d’urbanisation ?

La capitale économique est victime de sa position géographique et stratégique. Elle hébergé 42% du total des établissements classés en catégorie 1. Un paramètre qui attire 10.000 personnes par an à la recherche d’un emploi. Ce qui en terme relatif renseigne sur le taux de croissance démographique qui est de 5%, presque le double du taux de croissance démographique nationale. Toute programmation relative au développement urbain est liée au boom démographique. Malheureusement pour plusieurs raisons, tel n’est pas le cas. On enregistre 71% de taux d’occupation anarchique des sols, environ 80% des maisons construites sans titre foncier, les bas-fonds et d’autres sites marécageux occupés en désordre nonobstant la présence d’un système de drainage efficace, cela va sans dire que les inondations ne sauraient que des naïfs. En bref, à Douala, l’urbanisme suit l’urbanisation

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Déjà au moins deux morts liés aux inondations quelle lecture en faites-vous ?

C’était prévisible. En 2002, pendant 8 jours sans interruption, il s’est abattu sur la ville de Douala des fortes précipitations suivies des déplacements des sinistrés vers la place de l’UDEAC. A l’époque Douala comptait moins de deux millions d’habitants. Aujourd’hui avec presque 4 millions d’habitants il faut redouter un remake de 2002 sinon ce serait la catastrophe. Les morts enregistrés sont la conséquence de l’urbanisation anarchique. Les fils électriques ressemblent aux toiles d’araignées avec des poteaux électriques en bois pourris prêts à tomber.

À qui la faute ? Au gouvernement ou la population ?

Didier Yimkoua, environnementaliste

A qui la faute ? S’il est vrai que la violence légitime appartient à l’Etat, cependant il ne faut pas ignorer l’usage de la loi tacite qui voudrait que la terre appartient aux premiers occupants qui en sont des vendeurs, sans aménagements au préalable. Cependant, les lotissements disponibles de la MAETUR sont hors des prix. Les plus nantis construisent où ils veulent. Les moins nantis, là où ils peuvent. Néanmoins, il ne faut pas encourager les constructions dans les marécages si on n’a pas assez de moyens pour drainer les eaux de ruissellement.

Les populations ont-t-elles raison de fuir les zones en proie aux inondations ?

Ce qui paraît paradoxal c’est le fait que ceux qui pratiquent la transhumance saisonnière sont bien au courant que les terrains sur lesquels ils bâtissent les maisons sont des zones fragiles. La preuve, ils aménagent le sol par les ramblais, malheureusement dans les plaines à pente faible (Missoke, Denver, Mabanda….). les sols sont saturés en eaux. Dès qu’il pleut abondamment, l’infiltration n’est pas possible. La vitesse d’écoulement des eaux est faible et si le Wouri est en marée haute, comme un verre plein d’eau, l’eau de stagnation peut atteindre 1 mètre de hauteur. En ce moment les maisons qui s’y trouvent, subissent une submersion de grande envergure.

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Les conséquences sont très importantes. L’eau est le plus puissant facteur destructeur. Il faut sauver ce qui est possible. Personnellement, je crois que les sénateurs de la région du Littoral, représentants des CTD au parlement ne font pas leur travail. Douala produit environ 3090 milliards de FCFA/an bon an mal an. Mais en reçoit moins de 5%. C’est une injustice. Il faut revendiquer au moins 10% de cette richesse pour que Douala se dote des infrastructures d’assainissement liquide et solide et renforce sa résilience aux changements climatiques. Et que les populations adoptent des comportements citoyens évitant surtout de vider les poubelles dans les caniveaux et ouvrir les vannes des WC pendant qu’il pleut. Cette gueulante est adressée non seulement aux habitants des quartiers mal structurés mais aussi aux habitants des quartiers huppés.

Propos recueillis par Moustapha Oumarou Djidjioua