Selon des experts en génie civil, la teneur d’eau dans l’atmosphère, encore appelée « humidité relative », est un réel danger pour les constructions dans la capitale économique camerounaise.  

Akwa, quartier résidentiel et centre des affaires de la capitale économique du Cameroun, Douala, se démarque par de gigantesques bâtiments qui poussent le long des rues. Ici, quelques maisons d’habitation côtoient les bureaux. Les façades et l’intérieur des différents bâtiments ne sont pas toujours reluisants. A quelques encablures du carrefour Idéal par exemple, les murs noircis d’un immeuble R+4 sont tapis de mousse végétale. Les garde-fous en acier sont rongés par la rouille. La dalle des balcons s’affaisse progressivement. La peinture se désagrège par endroit à l’intérieur du local situé au rez-de-chaussée.

Le même constat est effectué sur certains édifices abritant des services publics au quartier administratif Bonanjo. Au lieu-dit Centre équestre à Bonabéri, quartier périphérique de Douala, le constat est plus alarmant. Des fissures se dessinent sur les murs d’un immeuble R+1, à l’intérieur de la maison. De larges taches grisâtres s’affichent par endroits. Le propriétaire indique avoir plusieurs fois renouvelé la peinture sur les murs, sans résultat durable. Les tâches ressurgissent toujours quelques temps après le réaménagement.

Humidité à Douala

D’après les ingénieurs de génie civil, tous ces signes visibles sur plusieurs bâtiments à Douala et dans d’autres villes du Cameroun sont dus à l’humidité.

« Il m’est arrivé récemment dans un chantier, de voir de l’eau sortir du carrelage. Cela est dû au fait que lors de la construction, l’eau contenue dans le sol se trouvait à un point bas. Et quelques années après, la remontée de l’eau a créé de l’humidité dans le bâtiment»,

témoigne Joseph Nsegbe, ingénieur de génie civil. Cette humidité, expliquent les ingénieurs de génie civil, a deux origines. Une origine naturelle, c’est-à-dire l’humidité qui provient de l’eau contenue dans l’atmosphère ou dans le sol. Une autre origine, accidentelle, du fait d’un défaut d’entretien ou de la rupture d’une canalisation. En outre, les matériaux de construction (briques, bois, plaques composites, béton) qui sont pour la plupart poreux favorisent la propagation de l’humidité dans les bâtiments à travers le phénomène des infiltrations et des remontées capillaires.

« Le bois a 13 à 17% de teneur en eau. La teneur en eau dans l’environnement influe sur les bâtiments et provoque un changement des propriétés »,

explique le Prof Louis Max Ayina Ohandja, ingénieur civil des constructions, par ailleurs directeur de l’Institut universitaire de technologie (Iut) de Douala. Les spécialistes relèvent que le problème d’humidité est plus récurrent à Douala à cause de la teneur élevée en eau dans l’atmosphère (encore appelée humidité relative). Pendant la saison sèche, l’humidité relative se situe autour de 50% dans la capitale économique. Et pendant la saison de pluie, elle peut atteindre jusqu’à 98%. Les inondations en zones marécageuses favorisent l’expansion du phénomène.

Du fait de l’humidité relative donc, les matériaux poreux changent de propriété. Les moisissures se développent, le bois pourrit. La protection des aciers éclate du fait de la corrosion. « Mais tout part de l’eau contenu dans le sol.  A Douala, on a une nappe phréatique trop rapprochée de la surface du sol, et un taux d’humidité relative élevé », indique Michel Tolen, ingénieur de génie civil.

Effondrements et maladies

« Si vous avez une stagnation d’eau sur une dalle et que cette dalle perd son ferraillage par corrosion, eh bien, il peut arriver que cette dalle s’effondre », soutient le Prof Louis Max Ayina Ohandja. Les ingénieurs expliquent que l’eau peut s’attaquer aux armatures métalliques contenues dans le béton, et pousser le bâtiment à l’effondrement.

A Yaoundé, il y a quelques années, des infiltrations d’eau dans les murs ont causé l’effondrement d’un bâtiment, apprend-on. Certaines habitudes des populations ou « usages pathogènes » y participent aussi de l’aggravation du phénomène. « En effectuant des travaux, on peut boucher des voies d’aération. Une maison transformée en restaurant par exemple, va générer de la vapeur. Or, il faut que la pièce soit bien aérée pour éviter l’humidité», relève un ingénieur. Il indique que l’eau peut aussi provenir d’un balcon mal étanché. « La conséquence la plus flagrante est esthétique. La peinture se désagrège. Les moisissures s’installent et diffusent des parfums toxiques avec des risques sur la santé », explique-t-il.

Les personnes vivant dans les pièces en proie à l’humidité sont ainsi exposées aux maladies telles que l’asthme et les infections pulmonaires.

« Il y a des gens qui ne peuvent pas utiliser une pièce parce qu’il y a de l’humidité. Ça sent mauvais. L’atmosphère est irrespirable»,

explique le professeur Louis Max Ayina Ohandja. Qui conseille aux populations de toujours avoir de l’aération dans les différentes pièces du domicile. Il demande en outre de se rapprocher d’un ingénieur de génie civil au départ de tout projet de construction d’une infrastructure. « Il y en a qui sont architectes et ingénieurs d’eux-mêmes. Ils font tout seuls. Et après, la rénovation du bâtiment leur revient plus chère que sa construction », déplore un ingénieur de génie civil.   

Mathias Mouendé Ngamo     

   

Astuces pour combattre l’humidité à Douala 

Les ingénieurs de génie civil proposent quelques solutions préventives.

Les spécialistes en bâtiments s’accordent à dire qu’il n’existe pas de solutions curatives satisfaisantes au problème d’humidité. Ils proposent cependant quelques solutions préventives. Il est surtout recommandé aux propriétaires  d’infrastructures de veiller à l’aération des différentes pièces de l’ouvrage. Et de réduire le volume de l’eau en contact avec le bâtiment. Dans ce cas de figure, il est conseillé de veiller à ce que la couverture (toiture) déborde la façade du bâtiment, de manière à limiter l’impact de la pluie sur le mur. Il est aussi conseillé de prévoir des conduits pour ramener l’eau de pluie vers des caniveaux.

« Cette action permet d’éloigner l’eau de la maison et de réduire le volume d’eau souterrain »,

note Georges Njangtang, président régional de l’Ordre national des ingénieurs de génie civil pour le Littoral.  

Les jardinières disposées près de la maison doivent être étanchées. « Il faut privilégier des jardinières en élévation et il faut aussi corriger les méthodes du lavage du sol », conseille un ingénieur. Les spécialistes en bâtiment recommandent en outre, pour des soucis de préservation de la santé, de ne pas vite s’installer dans une maison qui vient d’être crépie. Kizito Ngoa, le président de l’Ordre national des ingénieurs de génie civil, pour sa part, exhorte tout entrepreneur à s’attacher les services d’un ingénieur de génie civil, dès qu’il souhaite construire un bâtiment. « Plusieurs personnes souffrent du problème d’humidité. L’ingénieur de génie civil est là pour vous accompagner dans tout le processus qui va l’étude du sol, jusqu’à la construction de l’ouvrage». Toute chose qui, d’après le président de l’Ordre, permettra de limiter les sinistres.

Mathias Mouendé Ngamo

 

Kizito Ngoa: « Eviter la précipitation dans les travaux » 

Le président de l’Ordre national des ingénieurs de génie civil plaide pour une prise en compte des siens dans tout projet de construction.

L’ingénieur de génie civil est souvent pointé du doigt lorsqu’un bâtiment s’effondre…

  Oui. Les ingénieurs de génie civil sont souvent interpellés. Lorsqu’il y a des bâtiments qui s’écroulent, très rapidement on dit que l’ingénieur a mal travaillé. Mais ce qu’il faut savoir c’est que jusqu’à présent nous n’avons jamais pu être certains qu’un ingénieur avait été associé du début à la fin du processus d’un projet. Et donc la responsabilité de l’ingénieur ne peut pas clairement être identifiée. L’interpellation que l’Ordre lance tout le temps, c’est que tous les promoteurs, tous les maitres d’ouvrage fassent confiance aux ingénieurs dès le début du processus. Dès que vous avez l’idée de construire un pont, un bâtiment, une école, vous devez automatiquement penser à l’ingénieur. Celui-ci va vous accompagner tout au long du processus de réalisation de votre ouvrage. Si cela est fait, automatiquement il y aura moins de sinistres. Et si maintenant les ingénieurs avaient des comportements quelques peu déviants, ce qui peut arriver dans une société humaine, l’Ordre est là pour faire cet auto nettoyage, comme l’a demandé le ministre des Travaux publics. L’Ordre a des instances disciplinaires, des commissions d’enquête. Des inspections professionnelles qui existent peuvent aussi traquer au sein de notre profession éventuellement, des ingénieurs qui pourraient être indélicats. En général, la vraie préoccupation que nous avons c’est que nous ne sommes pas impliqués du début à la fin du processus. Et que dès lors, on ne peut pas nous imputer une responsabilité lorsqu’un bâtiment s’effondre.

Lors de l’assemblée annuelle de l’Ordre, vous décriiez la précipitation dans la réalisation de certains travaux…

Il ne faut pas qu’aujourd’hui parce que nous avons beaucoup d’investissements reversés dans les infrastructures, que l’on le fasse dans la précipitation. La précipitation c’est-à-dire des études mal élaborée, des études géotechniques qui n’ont pas été prises en compte lorsqu’il s’agit ensuite de faire le calcul des dimensionnements de votre bâtiment. Ca peut être aussi la précipitation liée à un agenda. On a un agenda qui voudrait peut-être qu’à telle échéance on ait construit ceci ou cela. Et dès lors on met une pression qui va elle-même se répercuter négativement sur les travaux et peut-être même le contrôle. Nous interpellons tous les acteurs en leur disant que nous sommes tous avec eux pour les grandes réalisations. Nous sommes d’ailleurs contents parce que normalement l’ingénieur devrait y trouver son compte parce qu’il doit travailler, mais en même temps il doit faire son travail de manière méthodique, en respectant les règles de l’art. C’est le message fort que l’on veut faire passer.

Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo

 

Vox pop:  Comment luttez-vous contre l’humidité dans le domicile ou le bureau ?  

Paul Njine, bailleur

« Eviter les eaux stagnantes » 

Le plus souvent le problème d’humidité à Douala part de la manière avec laquelle le bâtiment a été construit. Lorsque le bâtiment est bien construit, on ne souffre pas de ce type de problème. Pour lutter contre l’humidité, on peut éviter qu’il n’y ait pas d’eau stagnante autour de la maison. Il y a aussi des produits que l’on déverse au sol qui empêchent l’infiltration de l’eau dans les parpaings.  

Joseph Nsegbe, ingénieur

“Aérer le domicile ” 

L’eau contenue dans le sol ne reste pas à un niveau stable. Il peut avoir des chantiers où lors de la construction, l’eau se situe à un point bas. Et quelques temps après la construction, l’eau remonte vers la surface et crée de l’humidité. J’ai vu récemment de l’eau sortir du carrelage  d’une maison. La remontée de la nappe d’eau est le phénomène le plus insidieux. On peut encore combattre facilement l’eau de pluie. Il faut que les populations acceptent d’investir dans les études de sol. Il faut faire appel à des spécialistes pendant la phase de conception. Il faut aérer la maison. Lorsque l’air circule les effets de l’humidité sont limités.    

Arsène Ongolo, ingénieur

« Se confier à un ingénieur » 

Lorsque l’on veut construire, il faut s’attacher les services d’un spécialiste. Le maçon n’a pas cette formation de conception. Il ne peut pas résoudre le problème d’étanchéité. Il n’y a que l’ingénieur de génie civil qui saura quoi faire, selon les circonstances. Une étude du sol est préalable avant toute construction. Elle permet de situer la nappe phréatique et de déterminer le type de matériaux à utiliser.    

Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo