
Une consultation nationale pour renforcer la lutte contre la désinformation et les discours de haine au Cameroun
- 15 mai 2025
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Les travaux des parties prenantes organisés à Yaoundé les 14 et 15 mai 2025 par le Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et la démocratie en Afrique centrale ont dressé l’état des lieux et proposé des solutions à implémenter pour faire face à ces fléaux, notamment à la veille de l’élection présidentielle.
Les différentes parties prenantes sont unanimes. La désinformation, la mésinformation et les discours de haine sont montés d’un cran au Cameroun depuis la fin d’année 2024. Ces fléaux semblent se cristalliser de plus en plus à l’approche de l’élection présidentielle prévue en fin 2025. L’observation et l’analyse des échanges qui se font déjà dans les débats sur les médias et les réseaux sociaux permettent de prendre la mesure de l’ampleur de la menace. D’après Nouhoum Sangaré, la désinformation et les discours de haine représentent à n’en point douter une menace sérieuse pour la cohésion sociale, la paix civile et l’intégrité de la démocratie.
« Ces fléaux sont devenus un instrument favori dans la quête du pouvoir pour ceux qui cherchent à manipuler l’opinion »,
déplore le directeur du Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et la démocratie en Afrique centrale (Cnudhd-Ac). Le haut responsable s’exprime ainsi à Yaoundé le 14 mai 2025 à l’ouverture de la Consultation nationale des parties prenantes sur la désinformation, la mésinformation et les discours de haine.
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L’implication des médias
L’urgence de la recherche de solutions pour réduire ces phénomène est donc de mise dans une société de médias de masse présentée comme propice à la propagation rapide des fakenews et des discours de haine. Le digital et l’intelligence artificielle jouent en plus un rôle de catalyseur. Pour Desmond Ngala, le président de Civic Watch, une fausse information ou un discours de haine peut effectuer la moitié du tour du monde, tandis que la vérité se chausse encore. Il déplore le fait que les discours de haine soient employés par des acteurs politiques comme une tactique.
Pourtant, une fois partagées dans les fora des messageries comme WhatsApp, ces histoires fabriquées incitent à la violence. Les médias de masse sont indexés dans l’entretien de cet état des lieux. Ils sont accusés de servir de canal de diffusion.
« Les débats télévisés ces dernières années sont devenus des lieux d’insultes »,
note Christian Achaleke, le directeur exécutif de Loyoc (Local Youth Corner Cameroon), une organisation axée sur la promotion de l’autonomisation des jeunes
Sur la question des médias et journalistes mis au banc des accusés, Marion Obam croit que cela est dû au fait qu’à l’arrivée d’internet, les journalistes qui avaient déjà roulé leur bosse ne se soient pas intéressés à ce nouveau média. Toute chose qui, selon la présidente du Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc), a laissé le champ libre à toute personne sans formation ni qualité (influenceurs, lanceurs d’alertes) à prendre le pouvoir. Les dérives ont suivi. Les jeunes sont comptés parmi les victimes au quotidien, mais se positionnent aussi comme des acteurs majeurs de la propagation.
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La loi sanctionne

Le sous-emploi et le chômage observés dans cette tranche de la population sont évoqués comme des causes possibles de leur exposition à ces phénomènes, à en croire le Conseil national de la jeunesse (Cnjc). Dans une étude menée par cette institution en août et septembre 2024, il ressort que « 80% de 12 000 jeunes interrogés avaient le problème de chômage et sous emplois et donc exposés aux problèmes de désinformation et discours de haine », rapporte Cedric Messambe, le secrétaire général du Cnjc. L’éducation aux médias est citée ici comme une solution pour changer la donne chez ces jeunes utilisateurs de plateformes digitales.
Qu’en est -t-il du cadre réglementaire ? Félix Zogo, le secrétaire général du ministère de la Communication (représentant le ministre) énumère un ensemble de textes. Il y a notamment les articles 240 du Code pénal sur la propagation de fausses nouvelles. Ils disposent que : « Est puni d’un emprisonnement de un (01) à cinq (05) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) à dix millions (10.000.000) de francs celui qui publie ou propage, par quelque moyen que ce soit, une nouvelle sans pouvoir en rapporter la vérité ou justifier qu’il avait de bonnes raisons de croire à la vérité de ladite nouvelle ». Aussi, la loi n°2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal énonce des peines sur l’outrage aux races et aux religions.
« Si l’infraction est commise par voie de presse, de radio, de télévision, de réseaux sociaux ou de tout autre moyen susceptible d’atteindre le public, le maximum de l’amende prévue à l’alinéa 1 ci-dessus est porté à vingt millions (20 000 000) francs », peut-on lire. Les textes précisent en outre que « lorsque l’auteur du discours de haine est un fonctionnaire, un responsable de formation politique, de média, d’une organisation non gouvernementale ou d’une institution religieuse, les peines sont doublées et les circonstance atténuantes ne sont pas admises », rappelle Félix Zogo. Le Sg du ministère de la Communication énumère d’autres lois comme celle du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité.
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Des initiatives pour contrer les fléaux

A la Consultation nationale organisée à Yaoundé les 14 et 15 mai 2025, on apprend que plusieurs initiatives sont menées pour tenter de repousser la désinformation, la mésinformation et les discours de haine au Cameroun. Au Conseil des imams et dignitaires musulmans du Cameroun (Cidimuc) par exemple, on indique que des prêches et des ateliers de formation sont organisés pour capitaliser les acquis des saintes écritures et la mise en pratique. Ici, on cherche à résoudre ces problèmes sous l’axe de l’éducation. Un forum est annoncé dans les mois à venir sous le thème : « la paix avant, pendant et après les élections 2025 ».
Le Conseil national de la Communication (Cnc) affirme qu’il organise des cafés débat pour édifier sur son rôle. Des rencontres avec les patrons de presse se tiennent aussi souvent pour discuter des questions de tenue d’antenne et de gestion des invités, entre autres. Election’S Cameroon (Elecam), l’organe indépendant en charge de l’organisation des élections au Cameroun fait savoir qu’elle anime une émission dénommée Fréquence Elecam, sur la CRTV pour sensibiliser les citoyens. D’autres émissions en langues locales sont aussi conçues dans le même but. Elecam se félicite aussi d’une communication accrue sur la toile.
Nouhoum Sangaré reste convaincu que la responsabilité collective est interpellée et qu’il faut joindre les forces pour trouver une réponse structurée et concertée à ces challenges majeures que sont la désinformation, la mésinformation et les discours de haine. « Les médias jouent un rôle central. L’éthique et le factchecking restent essentiels pour la démocratie. Nous ferons reculer les divisions et renforcerons les piliers que sont la vérité, le renforcement des droits de l’homme à travers des solutions efficaces, cohérentes et durables», soutient-il. Des pistes de solutions ont été évoquées dans ce sens au cours de cette Consultation nationale des parties prenantes organisée par le Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et la démocratie en Afrique centrale avec des partenaires tels l’Unesco, Loyoc et Civic Watch.
Pistes de solutions
Durant les discussions, les participants de différentes organisations ont sollicité une définition claire du discours de haine en prenant compte le contexte camerounais. Il ont aussi demandé de concilier la liberté d’expression avec la préservation de l’espace public contre les discours de haine ; d’encourager la collaboration entre les personnes en charge des élections et la société civile pour assurer la paix. Les parties prenantes ont recommandé l’application de toutes les lois mises en place sur les questions de désinformation et discours de haine au Cameroun.
La formation en factchecking et à l’éducation aux médias afin d’assainir les espaces médiatiques et hors ligne ont plusieurs fois été mentionnés. Les acteurs ont en outre plaidé pour une loi sur l’accès à l’information et aux données et surtout la création d’une plateforme de coordination multipartite des acteurs de la lutte contre la désinformation et les discours de haine. Pour toucher les communautés de base (familles, écoles, parents, communautés religieuses et traditionnelles… ) les participants prescrivent des rencontres de sensibilisation vers ces cibles.
Mathias Mouendé Ngamo