Promiscuité.  Le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense était à Douala jeudi 29 janvier 2014, pour la pose de la première pierre de la construction de la route sur le prolongement nord du boulevard de la République. Mais il ne s’agit pas dans ce billet de revenir sur les allocutions prononcées et sur la cérémonie en elle-même. Lors d’une déscente sur le site des casses il y a deux semaines, nous nous sommes entretenus avec les familles déguerpies pour savoir comment elles ont vécu l’opération de casses? Où vivent t-elles actuellement? Dans ce récit, prenez la température du calvaire des déguerpis de Bépanda.   Raoul Nguemeni est vendeuse de nourriture au rond point Deïdo à Douala. Ce lundi 13 janvier 2014, la jeune dame âgée de 35 ans ne s’est pas rendue à son lieu de commerce. Elle est revenue sur les décombres de la maison familiale, détruite en fin du mois de décembre au quartier Bépanda, par les engins du Génie militaire. De l’immeuble à étage qui se dressait là, seul un pan de mur tient encore debout. Les occupants de l’appartement, quinze au total, se sont retrouvés sans abris. Raoul Nguemeni indique qu’elle a dû négocier avec une voisine pour se « refugier » dans une pièce de son domicile, avec les tout petits. «Nous sommes dix personnes logées dans une même chambre. Nous dormons sur des matelas étalés à même le sol. Nous avons entassés nos meubles dans la cour d’une concession qui a été épargnée par les engins. Nos effets sont sous la menace des intempéries », raconte Raoul. La déguerpie précise qu’elle doit néanmoins verser la somme de 10 000 F. Cfa chaque mois, représentant les frais de location. Le quotidien de Raoul Nguemeni a changé. La petite commerçante a aménagé un foyer pour les cuissons non loin de la voie dégagée par les engins. Des assiettes rangées dans une bassine trainent dans un coin. « En trois semaines, ma physionomie a complètement changé. Quand je me lève le matin, je m’occupe des tout petits. Puis, je vais au marché. J’ai trois enfants. Mais j’ai plusieurs autres enfants de la famille à ma charge », détaille la dame. Elle explique qu’il aurait été pénible de trouver un autre local loin du site des destructions. Les enfants vont à l’école Cebac et au lycée de Bépanda, situés dans les environs. La jeune dame dit avoir aussi de la peine à nourrir toutes ces bouches. “Nous n’avons pas été dédommagés”  Selon Raoul Nguemeni, la maison familiale n’avait pas été marquée de croix de Saint André. Et par conséquent, ne devait pas être démolie. « Ils nous ont dit de compter 17,5 mètres. Les engins ont cassé le premier jour. Notre maison a été touchée en partie. Un autre jour les engins sont revenus et ont tout cassé. Alors que nous étions sures de ne pas être touchés. Nous n’avons pas été dédommagés», déplore t-elle. Raoul Nguemeni relève que les habitants non indemnisés ont été invités à déposer des requêtes à la sous-préfecture. Les démarches sont un peu difficiles pour la petite commerçante. « Papa et maman sont décédés et on nous demande certains documents de la maison que nous avons de la peine à retrouver », se plaint-elle. A propos du prolongement Le prolongement nord du boulevard de la République s’étend sur 2 kilomètres et demi de long. La largeur de l’ouvrage varie entre 30 et 35 mètres. Il comporte, d’une part, deux voies fois trois (2X3), et d’autre part un site propre central de largeur de deux fois une(2X1). Au milieu, un espace est dédié à la circulation des bus et minibus.Le boulevard débouche à Bonamoussadi. Mathias Mouendé Ngamo   Vox Pop  Comment vivez-vous après les déguerpissements ?    Bernard Mbutcha, déguerpi  « Dormir à même le sol » Je vis ici depuis 1970. Je suis à la retraite. On a cassé la grande maison constituée d’un salon et de quatre chambres. Nous sommes sous le choc. Chaque matin, je me lève. Je m’assois et je vois les gens passer dans la rue. Pendant les démolitions, nous avons retiré tous nos effets. Nous les avons conservés chez des proches. La maison de mon fils, construite juste derrière la mienne, a été épargnée. Maintenant nous habitons tous là dedans. On se couche par terre. Il y a des enfants des voisins déguerpis qui nous rejoignent souvent le soir. On étale des nattes à même le sol. Nous avons été dédommagés. Nous avons pris le peu qu’on nous a donné (deux millions F. Cfa). Ce que nous déplorons, c’est qu’ils veulent s’accaparer de l’espace qui nous reste après le bornage. Ils veulent vendre cet espace à des hommes d’affaires. Nous nous y opposons.     Jérémie Tayock, déguerpi   « Les enfants éparpillés »   Il n’ya plus rien. J’avais deux compartiments composés de dix chambres et cinq chambres. Il y avait aussi les locataires. J’ai neuf enfants. Certains de mes enfants se sont éparpillés un peu partout après les casses. Je ne sais pas où ils se trouvent exactement. Pour l’indemnisation, j’ai reçu 600 000 F. Cfa pour la maison de dix chambres construite en matériaux provisoires. Et 1.500.000 F. Cfa pour le compartiment de cinq chambres construit en matériaux définitif. Avec cet argent, je n’ai pas pu acheter un terrain et construire une maison. Je vis actuellement à Bonabéri, chez un ami. Je me rends à Bépanda tous les jours, pour voir si après les casses, il me restera encore quelques mètres sur mon terrain, afin que je les viabilise.     Thierry Tumma, déguerpi « Pas indemnisé »  La situation est désespérante. On ne peut pas être content quand on détruit nos maisons. Nous sommes obligés de subir. Quand ils ont placé les jalons, plus de la moitié de mon terrain a été avalé. Je n’ai encore rien perçu comme indemnité. J’ai fait une requête. Je suis allé plusieurs fois à la préfecture. Je n’ai rien reçu comme information. A la recette municipale, on m’a dit que mon dossier est encore en attente à la préfecture. Cette indemnité nous aurait permis de gérer la situation difficile que nous vivons actuellement. On a détruit toutes mes cultures. On nous dit d’attendre. J’ai estimé que ce qui m’a été proposé pour l’indemnisation n’était pas suffisant. Ils m’ont proposé 60 000 F. Cfa pour environ 200m2  de terrain exproprié. J’ai refusé.     Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo