L’avocate camerounaise qui cumule 26 ans de carrière parle de son engagement au service des œuvres sociales et fait une peinture du milieu carcéral.

Vous projetez un film ce 21 janvier 2023 à Douala (…)

(…) Le film que je projette ce samedi 21 janvier 2023 est un compte rendu d’une partie de ce que j’ai fait dans les prisons. Le titre du film c’est Mon compte rendu, initié par l’avocate des pauvres. C’est le résultat de 25 années de travail dans la plupart des prisons camerounaises. Et on y trouve plusieurs cas. Il y a les malades mentaux : ceux qui y arrivent étant déjà malades mentaux, donc, des malades mentaux qui ont été jetés en prison ; et il y en a qui arrivent étant normaux, mais dont la pression et les difficultés de la prison transforment.

A quoi  renvoient les éléments sur l’affiche de ce film ?  

A ma droite, c’est un homme qui pendant qu’il travaillait sur une toiture, a été électrocuté et a perdu une jambe et s’en sort également avec un bras inopérant. Malgré toutes les tentatives initiées en vue d’être dédommagé, il n’y est pas parvenu. Plusieurs confrères ont essayé en vain. Et par la garce de Dieu, je suis tombé sur lui. J’ai fait ce que je pouvais faire. Et aujourd’hui, il a retrouvé une vie stable. Il a un emploi, un petit job qui lui permet de retrouver une vie normale. Celui qui est au milieu a été amputé des deux jambes à cause d’une maladie. Il a appris que Me Charlotte Tchakounté aide les gens et il m’a appelée, m’a retrouvée au palais de justice. Et je fais pour lui ce que je peux.

A côté, il y a ma fille Zouliatou que j’ai découvert à la prison de New-bell quand j’ai commencé ce ministère. Elle ne bougeait pas. Elle dansait sur place. Je me suis rapproché d’elle et c’est là que j’ai appris qu’elle avait une balle dans la cuisse. La cuisse pourrissait déjà. Le Seigneur m’a mis en cœur de pouvoir la sortir de là pour la faire opérer. La balle a été extraite et un fer a été placé dans sa jambe. Le fer ne devait pas durer plus de cinq ans. Malheureusement, à cause de la pauvreté, ce n’est que treize ans plus tard qu’elle est revenue vers moi. Et au moment de l’opération, on découvre que la chair a complètement enveloppé le fer qui devait être ôté huit ans plus tôt. L’opération a été très difficile, mais, l’objectif a été atteint. Elle a pu reprendre une vie normale.

Me Charlotte Tchakounté

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Depuis quand êtes-vous au service des œuvres sociales ?

J’ai 26 ans de carrière et 25 ans d’œuvres sociales. En 26 ans, j’ai passé 25 à œuvrer dans les milieux carcéraux, à œuvrer pour les personnes en difficulté dans la rue, notamment les femmes battues, les femmes expulsées, les orphelins en difficulté et toutes les personnes victimes d’injustice.

Quel regard jetez-vous sur les prisons au Cameroun ?

L’état de nos prisons est calamiteux. Ce que les pensionnaires vivent est inhumain. C’est vrai qu’il y a une nette amélioration par rapport à lorsque j’ai commencé ce métier, mais les droits de l’homme n’y sont toujours pas respectés. Ils sont comme des animaux. Il y a 10 ans, j’ai résumé l’état de nos prisons en Centre d’animalisation de l’homme.

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Qu’en est-t-il des conditions des femmes dans les prisons ?

Pour ce qui est de la situation carcérale des femmes en prison, elle s’est un peu améliorée, comme dans toute la prison de New-bell d’ailleurs. Il y a des cellules Vip, et il y a des cellules qui sont comme l’enfer sur terre. Dans ces cellules, il est impossible de s’asseoir dans la nuit. Lorsque la nuit tombe, on les empile dans les cellules qu’on referme. Il devient difficile pour elles de s’asseoir à cause de leur nombre élevé.

Qu’est-ce qui vous a motivée Me Charlotte Tchakounté à engager en faveur des cas sociaux ?

Ce qui m’engage, c’est que j’ai reçu l’appel de celui qui m’a créée. Il m’a appelé à le servir à travers les cas sociaux. C’est lui l’auteur de l’homme. Le riche a été créé par lui. Le pauvre a été créé par lui. Il permet ce déséquilibre parce qu’il sait qu’il mettra dans le cœur des riches de prendre soin des pauvres. C’est dans ce sens que j’ai été appelée et j’accomplis la mission qui m’a été confié et dont le résultat est visible aujourd’hui.

Combien de personnes pensez-vous avoir sorti de prison en 25 ans d’œuvres sociales ?

 Au moins 1000 personnes et au moins 2000 dossiers. Parmi les 2000 dossiers, il y a au moins 1000 qui sont sortis, d’autres qui sont encore en prison en attendant la date de leur libération, et d’autres qui sont morts en détention. Quand je regarde la cantine contenant les dossiers de prison, je constate que Dieu a fait des merveilles à travers moi.

Quelles propositions faites-vous pour améliorer la situation carcérale ?

Il faut humaniser les prisons, améliorer les conditions de vie des détenus, parce que ce sont encore des êtres humains, des personnes qui respirent, qui méritent de la considération. Un jour à la prison, je voulais causer avec un détenu. Lorsque le gardien ouvre la cellule, pendant que le détenu se précipite pour en sortir, j’ai fait trois pas en arrière en raisonde la forte odeur sortie de cette cellule. C’était incroyable. Et donc, en les considérant comme des personnes, on peut améliorer leurs conditions de vie. Autre recommandation, la présence des malades mentaux dans nos prisons. Les malades mentaux ne doivent pas se retrouver en prison. Leur place c’est dans un hôpital.

Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo