Marguerite Welisane Nyambe : “Je n’ai jamais été indemnisée”
- 6 juillet 2012
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Interview. L’hôtesse de l’air recapée du crash Cameroon Airlines de 1995 se confie. Vous êtes l’un des survivants du crash d’un avion de la Cameroon Airlines à Youpwe le 3 décembre 1995. Pouvez-vous nous dire comment s’est-ce déroulé le vol de Cotonou à Douala, jusqu’au moment fatidique ? Bien sûr, à 99%, je me rappelle de ce qui s’est passé. Je m’en souviens comme si c’était hier. Du décollage de l’avion jusqu’à la phase d’approche, c’est-à-dire avant l’atterrissage, c’était un vol qui n’avait pas de problème en tant que tel. C’est à l’atterrissage que le problème s’est posé. Un réacteur a pris feu. En tant qu’hôtesse, j’étais assise de telle sorte que je pouvais voir les passagers, le réacteur et l’équipage devant. J’ai vu le réacteur prendre cracher du feu. Vous êtes alors peut-être prise de panique. Alors, quelle est votre réaction à cet instant ? Je m’apprête. Psychologiquement, je sais déjà que je vais ouvrir la porte en ermergency pour évacuer les passagers le plus rapidement possible. Et surtout pas du côté gauche, parce que c’est le côté où il y avait le feu. Donc je dois ouvrir du côté opposé. J’étais prête pour l’évacuation. Oui, vous êtes prête. Que faites-vous alors ? La suite, c’est qu’on est reparti. On a atterri et on a redécollé. En fait, on a atterri en partie et on a redécollé. Quand un avion atterrit, les roues arrière se posent, puis, la roue avant. Les roues arrière de l’avion se sont posées. Il y a eu feu dans le réacteur. Au lieu de poser la roue avant, le pilote est remonté dans les airs. Comment les passagers vivent-ils cette remontée-là? Dans le calme. Le calme total jusqu’à l’impact. Un calme qui se voit rarement. J’ai tellement voyagé. J’ai fait des centaines de vols pendant une quinzaine d’années que j’ai travaillé. Déjà quand il y a une petite turbulence entre Douala et Yaoundé, tu entends des « ooooh! », « aaaaah ! », « Madame ! ». On appelle l’hôtesse à gauche et à droite. « Que se passe t-il ? ». Est-ce qu’il y a eu une conversation entre vous et le commandant de bord ? Je ne sais pas ce qui s’est passé au poste. Mais mon chef de cabine était assis. Moi j’étais assise et je la regardais. C’était une femme. Je lui faisais des signes pour lui dire que le réacteur était en feu. Je faisais juste des signes. Je ne pouvais pas crier, sinon j’allais créer la panique. Elle ne comprenait pas bien mes signes. Après l’impact, est-ce que vous avez pu voir la réaction des passagers ? Je ne savais pas où j’étais. Nous étions dans l’obscurité avec la marée. Je me suis dit que nous étions dans une forêt. Il y avait comme du sable mouvant. C’est à l’occasion d’une émission de la Cameroon Radio Television (Crtv) intitulée « Que sont t-ils devenus ? » que j’ai découvert le site. Est-ce que vous avez eu le temps de voir comment les passagers réagissaient ? Ils n’ont pas réagi jusqu’à l’impact. Il y en avait qui étaient encore vivants à l’impact. Ils sont morts de blessures. Moi j’ai été repêché dans la nuit par les pêcheurs de Youpwé que je salue toujours à chaque fois que j’en ai l’occasion. Je ne sais pas comment je me suis retrouvée hors de la carlingue. Les secours sont arrivés le lendemain. Entre temps dans la nuit, beaucoup sont morts brûlés vifs dans la carlingue. Après le crash, vous vous retrouvez où ? J’ai été hospitalisée. On m’a évacuée. Des collègues ont fait pression. Ils ont commencé une grève. C’est pour cela qu’on a été évacué. Aux frais de qui ? Ne me posez pas la question. Je crois que c’est aux frais d’une assurance, la Ccar qui s’est portée garante de mon évacuation. Comment s’est passé le paiement ? Je ne sais pas. Vous êtes évacuée en France et vous y restez pendant combien de temps ? Déjà je reviens, je repars parce que j’étais en séances intensives de rééducation. Je venais voir mes enfants et je repartais. Je l’ai fait pendant près de deux ans jusqu’en 1998. Après, les séances devenaient plus espacées et je pouvais passer trois mois. Puis j’ai repris le travail, mais j’étais hôtesse au sol. Vous ne parlez pas toujours des indemnisations ? Je ne peux pas parler d’indemnisation puisque je n’en ai jamais reçu jusqu’à ce moment où je vous parle. Est-ce que vous en avez demandé ? J’ai beaucoup écrit. Mes collègues se moquaient même de moi. Et plaisantaient en me disant « tu n’es plus hôtesse de l’air. Tu ne sers plus les boissons maintenant ce sont les papiers. Tu es devenue journaliste ? ». J’ai écrit. Je me suis plaint au niveau de la compagnie par rapport à mon salaire. Parce que, à leur niveau ils m’étaient redevables de mon salaire de navigant que je n’ai jamais eu jusqu’à la fermeture de la Camair. Vous avez reçu une réponse au moins ? J’ai reçu une réponse à l’un de mes courriers par rapport à mon salaire. Ils m’ont répondu que j’étais bien payée. J’ai des acquis de salaire qui m’ont été retirés. Je ne sais pas comment ils ont su cela. Je ne sais pas où ils ont eu mes éléments de salaire. Mais toujours est-il qu’ils m’ont dit que j’étais bien payée Mais madame, vous aviez tout de même une assurance non ? Je suis membre de l’équipage. Mon assurance est payée par moi-même. Tout membre d’équipage est assuré, mais son assurance est payée par lui-même. Ca n’a rien à voir avec l’indemnisation ou quoi que ce soit. C’est une assurance individuelle comme un chanteur prendrait une assurance pour sa voix. Et l’assurance n’est valable que si on arrive à terme. Or avec cet accident, mon assurance arrivait à terme à 55 ans. Ce que je n’ai pas atteint. Et la Camair ne m’a jamais remboursé. Vous avez été citée par l’ancien ministre Marafa dans l’une de ses lettres… Comment est-ce que cette nouvelle vous est-elle parvenue ? Quand j’ai appris cette nouvelle, j’étais en France. Mes amis m’ont appelée du Cameroun et m’ont dit qu’on parle de moi dans les journaux. J’étais étonnée et écœurée parce que chez nous, on dit qu’on ne touche pas l’argent du sang. Je ne savais pas que des gens pouvaient encore faire ça. Je suis revenue au Cameroun. Comment avez-vous rencontré le ministre Marafa ? Marafa ne m’attendait pas du tout. C’est après avoir essuyé beaucoup de refus parmi d’autres ministères. Je suis camerounaise comme vous. J’ai des amis à Yaoundé. Ils m’ont dit, va voir Marafa parce qu’il est le Secrétaire général de la Présidence, quelque chose comme ça. Comme tu veux envoyer un courrier au chef de l’Etat, va le voir. Il reçoit facilement et il est abordable. Je ne connaissais même pas son bureau. On va dit, va à son domicile. Je ne connaissais pas où était situé son domicile. On m’a dit attend, je vais t’envoyer quelqu’un qui va te montrer son domicile. C’est comme ça que quelqu’un est venu me chercher à l’arrêt du bus et m’a accompagné au domicile de Marafa. Il m’a laissé à l’entrée. Il n’est pas entré lui-même. Je suis allée. J’ai pris mon courage. Je suis dit qu’au pire des cas, on peut me dire non vous n’entrez pas, parce que je sais que c’est une maison sécurisée. Il y a des policiers, des gendarmes… Je suis entrée comme si j’allais chez un parent. On m’a demandé qui j’étais, j’ai donné ma carte nationale d’identité à l’entrée. Je me suis présentée. Il m’a reçu. Je lui ai dit qui j’étais. Que j’ai du courrier que je veux faire parvenir au président de la République. Je l’ai à peine vu quelques minutes et je suis restée toute la journée chez lui à reprendre les courriers, à écrire, puisque je ne savais pas où aller. Je ne connais presque personne à Yaoundé. Quand j’ai fini, j’ai laissé le courrier. J’ai repris mon taxi, je suis retourné sur Douala. Est-ce que Marafa vous a revu après cette première rencontre ? Il va me voir qu’il est mon ami ? Il a dû faire ce qu’il fallait parce que c’est suite à ce courrier que j’ai reçu une réponse du ministère. On m’a répondu, mais je doute que le courrier soit arrivé en haut lieu. Peut-être il y a d’autres personnes qui doivent voir le courrier avant qu’il n’arrive chez Son excellence Paul Biya. Mais j’ai eu une réponse. Vous attendez d’être indemnisée. Mais par qui ? La responsabilité est celle de qui ? Je ne suis pas là pour juger parce que je ne sais pas quelles sont les implications des uns et des autres. Je ne fais pas politique. Mais tout ce que je dis, c’est que depuis longtemps, on aurait dû indemniser les victimes. La personne qui s’est assise sur l’indemnisation, je pense que cette personne là qui a agi ainsi ne doit pas avoir la conscience tranquille. Est-ce qui vous est arrivé qu’on vous dise un jour que voici la personne qui empêche votre indemnisation ? A Camair il se chuchotait beaucoup de chose. Ce n’était pas seulement les choses qui concernaient tel ou tel ministre. Mais qui concernaient même le nom d’un agent qui est revenu plusieurs fois. Nous on parle. Il en avait peut-être qui ont vu ça quelque part. Mais nous, n’étant pas de ceux-là ne pouvions pas nous mettre à dire que x a reçu de l’argent. On savait que c’était vrai, mais on n’avait pas de preuve. Avez-vous des nouvelles des autres victimes ? Tant que la Camair était encore fonctionnelle, je voyais un autre rescapé qui a eu a travailler comme à la Camair. Je voyais même son épouse qui travaillait à la Sureté. Elle me soutenait quand je voulais faire des papiers officiels. Mais je l’ai perdue de vue depuis. Vous avez également parlé de la mère d’une autre victime. Comment vivait-elle sans indemnisation, avec deux orphelins ? Elle tirait le diable par la queue. D’après ce que j’avais entendu, ses enfants et un oncle se sont battus pour pouvoir avoir quelque indemnisation. Mais ils ont baissé les bras. Avec les révélations de Marafa, avez-vous entrepris une action en justice ? Je ne crois pas trop en la justice. Je ne sais pas s’il faut y croire. Je ne fais pas confiance. J’aurai pu avant. J’ai commencé. Cependant, je pense que si monsieur Paul Biya est juste, c’est à lui de prendre cette affaire et de décider ce qui est juste. J’irais en justice contre le gouvernement ? Moi une petite chose qu’on n’a même pas écouté quand je parlais ? Non. Peut-être d’autres personnes vont peut-être prendre ça en main. Je pense qu’il vaudrait mieux que le président lui-même fasse le discernement dans cette affaire. Parce que je pense qu’il est mieux placé pour connaitre ce qui est vrai et ce qui n’est pas vrai entre ce que les uns et autres démentent jusqu’à à adopter à l’unanimité que nous avons reçu de l’argent. Etes-vous devenue plus croyante après ce crash, et aujourd’hui ? Il y a des choses dans la vie qui vous arrivent, qui arrivent autour de vous, à des personnes qui vous sont chères sans pour n’ayez pour autant une certaine perception parce que vous priez par automatisme. Est-ce que je crois un peu plus aujourd’hui ? Je crois. Je crois que je crois. Je suis convaincue chaque jour qu’il y a quelqu’un là haut. Est-ce que vous aurez pu imaginez que 16 ans et demi après cet accident, quelqu’un se lèverait pour accepter ce que je cris depuis des années ? Aujourd’hui les esprits s’échauffent comme si c’était hier. Mais pour nous, c’était hier. Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo et Denis Nkwebo (Le Jour)