“LA FRANCE A DEJA PERDU LE FUTUR EN AFRIQUE !”
- 15 décembre 2011
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{page:Section1;} –> LETTRE A ABDOU DIOUF, Secrétaire général de la Francophonie Par Patrice Nganang, écrivain Monsieur le président: Je vous remercie pour l’audience que vous m’avez accordée, en marge du prix de la Francophonie que j’ai reçu de vos mains. Cette audience pour moi c’est le prix en réalité. C’est elle seule qui me fait venir à Paris, parce que sinon j’aurais refusé le prix. Je l’aurais refusé, moins parce que l’installation de mon pays dans la zone francophone aura eu lieu au prix de l’éradication de l’écriture shümum que mon roman primé Mont plaisant raconte, qu’à cause de l’implication directe de l’Organisation internationale de la francophonie dans le maintien de la tyrannie qui étrangle le Cameroun depuis 1984, et surtout à cause de la caution qu’elle aura donné au coup d’Etat constitutionnel qui y a eu lieu ce 4 septembre 2011. En effet, lors de la session parlementaire du 11 octobre 2011, Mr. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères de France, dit que les élections présidentielles eurent lieu au Cameroun ce 9 octobre 2011 ‘dans des conditions acceptables’. Il précisa que son jugement, il le basait sur le rapport de l’organisation dont vous êtes le secrétaire général. Plus tard le président Nicolas Sarkozy félicitait Paul Biya. Nous savons, monsieur le président, que la délégation de l’Organisation internationale de la francophonie qui supervisa les élections du 9 octobre était dirigée par le major Pierre Buyoya qui lui-même n’a jamais accédé au pouvoir dans son pays que par des coups d’Etat ; nous savons que le travail de cette délégation au Cameroun était pratiquement téléguidé depuis le cabinet civil de la présidence de la république du Cameroun. Et puis, sur la base des observations de la plateforme ‘09-10-11 Touche pas a mon vote !’ que j’ai constitué avant les élections, plateforme qui a formé près de 2000 scrutateurs déployés à travers le pays, réuni 7 partis politiques et était fondée sur la collaboration entre 7 leaders politiques dont 4 candidats à l’élection ; sur la base de ma collaboration parallèle à une plateforme, le Front Uni de la Diaspora Camerounaise, unissant de multiples organisations de la diaspora camerounaise, je puis dire ceci sans avoir peur de me tromper : la Nation camerounaise a été exclue des élections du 9 octobre. La Nation camerounaise, ce sont les 70% du peuple camerounais qui à l’intérieur, et les 99,5% qui à l’extérieur du Cameroun n’ont pas voté, chiffres précisés par deux organisations bien respectées d’observation des votes. Oui, monsieur le président, nous qui n’avons pas voté le 9 octobre 2011, nous sommes la Nation camerounaise. Monsieur le président, j’ai demandé une audience, parce que je voulais vous dire de vive voix notre frustration, oui, notre colère d’avoir été ainsi privés de notre droit fondamental : la possibilité de choisir le dirigeant que nous voulons, pour le bien-être de notre pays. Je vous écris cette lettre parce que les violations de droits minimaux qui ont précédé l’élection du 9 octobre auraient rendu toute reconnaissance de ses résultats impossible : , interdictions de conférences, kidnapping de leaders politiques, mise en résidence surveillée, fermeture des frontières du pays ; tout a été mis en œuvre par le pouvoir pour nous empêcher, pour empêcher à la Nation camerounaise donc, de participer effectivement au choix de son dirigeant. Je vous écris cette lettre au lieu de vous dire ces vérités, parce qu’il m’a été prévenu que durant cette audience, je ne devrais pas vous parler de politique, mais de littérature. Cette note ne m’a cependant pas interdit de vous écrire de lettre sur la politique camerounaise – et je suis écrivain. Monsieur le président, il nous est demandé aujourd’hui d’accepter le fait accompli de la victoire du tyran, bref, de vivre pendant sept ans avec la réalité du coup d’Etat constitutionnel qui a eu lieu au Cameroun. Il nous est demandé de prendre acte de l’écrasement de fait de la Nation camerounaise par un pouvoir qui aujourd’hui ne se maintient plus que par la force du BIR, le Bataillon d’Interventions Rapides. Il nous est demandé de consacrer par notre silence consentant, la subjugation de la Nation camerounaise, et surtout d’une partie d’elle, les Anglophones, à un ordre politique qui est basé sur le non-respect de nos droits fondamentaux. Il nous est demandé en somme, d’accepter le fait accompli d’une politique qui aujourd’hui nous ramène à une vision tribale des citoyens que nous sommes, politique formulée en 1956 quand la république du Cameroun n’était que francophone, et qui organise la gestion publique des affaires de notre pays selon un axe Nord-Sud pour la satisfaction effective de la France – or cet axe est porteur de violences futures inévitables. Dire que le Cameroun n’est pas seul dans cet enfer ! La Francophonie est devenue le Temple de la Tyrannie, avec ses présidents élus pour deux générations comme au Cameroun, ou ses démocraties héréditaires comme au Togo et au Gabon. Et pour cause ! Nous savons que la France est la seule ancienne puissance coloniale qui croit pouvoir nous maintenir silencieux infiniment au moyen de ses milliers de militaires postés ici et là en Afrique. Nous savons qu’elle ne recule pas devant des coups d’Etat constitutionnels ou militaires, pour imposer son ordre politique dans nos pays – et la centaine de coups d’Etats en Afrique depuis 1960 nous l’a appris. Nous avons vu en Côte d’ivoire en 2002 qu’elle ne recule pas non plus devant une guerre civile quand il s’agit d’imposer sa manufacture politique de la gestion de nos pays, ou de défendre ses intérêts. Nous avons vu au Rwanda en 1994, qu’elle ne recule pas devant le soutien à des pouvoirs génocidaires, pour maintenir nos pays dans le giron francophone : et la politique de l’axe Nord-Sud n’a d’ailleurs été imposée dans notre pays qu’au prix du génocide bamiléké et bassa. Nous savons que c’est au Cameroun parce que coupé entre le français et l’anglais, que la bataille pour le futur de la francophonie en Afrique sera décidée, car c’est la géopolitique de notre pays autant que ses richesses, qui dicte la décision de Paris de nous transformer en indigènes, nous qui sommes pourtant nés citoyens. Mais nous savons aussi ceci : aucun fait accompli politique n’est eternel. La Nation camerounaise ne pourra pas éternellement être frustrée de ses droits. La bataille pour notre libération, si nous ne la menons pas aujourd’hui, nos enfants la mèneront demain. Aujourd’hui cependant, nous pouvons dire ceci avec certitude : la France a déjà perdu l’avenir en Afrique. Toute organisation qui ne reconnaît pas cette réalité est condamnée. Voilà ce que ne pouvant vous dire comme citoyen, je suis obligé de vous écrire comme écrivain. Monsieur le président, aidez la Nation camerounaise ! Sincèrement : Patrice Nganang, écrivain