Accidents de circulation au Cameroun: Les «Angles» de responsabilité (critique de film)
- 29 novembre 2021
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Dans sa fiction sortie en 2018, Frank Thierry Léa Malle interpelle au respect des lois et règlements par chacun afin de mettre fin aux nombreux accidents de circulation.
A qui la responsabilité des accidents de circulation au Cameroun ? Voilà sans doute la question à laquelle chaque citoyen devrait répondre après avoir regardé « Angles », le court métrage du réalisateur camerounais Frank Thierry Léa Malle. Même si dans ce film sorti en 2018, les causes de ces multiples accidents sont liées, d’une certaine manière, aux contraintes familiales, « Angles » invite à la responsabilité de tous. Le film de Inception Arts and Com a remporté le prix de Meilleure Scénario (catégorie court-métrage) à la 4ème édition de LfC Awards (Le Film Camerounais Awards) à Douala le 18 novembre 2021.
D’une durée de 15min 50 secondes, le court métrage dramatique relate à partir d’un reportage émis par la « radio sept collines », un énième accident de circulation survenu dans la capitale politique du Cameroun, Yaoundé, précisément au quartier Mvogo. Un camion de bois perd ses freins en descendant une colline et finit sa course dans une maison en heurtant au passage élèves et piétons. Bilan provisoire, 16 morts et plusieurs blessés.
Si d’aucuns pensent que traiter de ce sujet n’est pas un cas nouveau, le réalisateur surfe sur la récurrence de ce mal. D’ailleurs, il précise dans le film (à 1min 30 s), dans un message écrit, que
« Malheureusement, vu le grand nombre d’accidents au Cameroun, il est difficile de raconter une histoire inédite… ».
Frank Thierry Léa Malle et son équipe zooment donc sur d’autres « Angles » afin que l’histoire soit neuve, d’où la construction du film introduisant un ordre particulier des séquences.
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Appel à la prise de conscience
Dans sa mise en scène, le film n’est pas un récit ordonné, linéaire. Tout se déroule autour de l’information que véhicule le média et l’heure de l’accident (vers 12h). Les séquences montrent l’avant et l’après heure de l’accident « 10h33min, deux heures avant l’accident » et « 17 h42min, cinq heures après l’accident ». Ceci permet de situer le contexte dans lequel le drame survient.
Cette construction (narration parallèle…) met en avant des actes individuels ou collectifs, afin de mieux sensibiliser sur l’effort et la responsabilité de chacun. On peut citer d’ailleurs le cas récent survenu à la falaise de Dschang, à l’Ouest du Cameroun, où un bus de transport en commun est entré en collision avec un camion semi-remorque transportant du carburant frelaté. De telles tragédies qui pointent du doigt le secteur du transport routier au Cameroun et toute sa chaîne.
La responsabilité de chacun à son niveau est importante. Un appel à la prise de conscience individuelle est lancé. On le retrouve également dans certains articles de presse comme celui de Cameroon Tribune intitulé : « Accident de la Route : Des responsabilités partagées ». Ces prises de position exhortent les pouvoirs publics, agents de visites techniques, autoécoles, voyageurs, agences de voyages, chauffeurs, piétons… à plus de responsabilité.
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Les contraintes familiales
« Angles » dénonce donc des comportements de certains citoyens qui pour des contraintes familiales ou pour des besoins personnels se servent au lieu de servir. Au-delà de l’insécurité, le réalisateur met à nu la corruption, la pauvreté, le conformisme, le non-respect des lois et règles établies, etc.
En 2018, le cri des familles victimes était déjà si grand qu’il fallait en parler aussi au cinéma. Le choix de plusieurs langues dans le film met en lumière l’ampleur du fléau et la volonté de le traiter à la source. Il faut sensibiliser en langue afin que toutes les tribus et couches sociales se sentent concernées. On y retrouve certains dialectes camerounais tels que le béti, le Ghomala, le Bassa… Le court métrage est également sous-titré en français.
Le casting est fait d’acteurs bien connus et appréciés : Tatiana Matip, Fidéle Ngo Bayigbedeg, Kofane Assala, Rigobert Tamwa, Virginie Ehana, Ulrich Takam (voix du journaliste), etc. Ces acteurs incarnent à la perfection leur rôle et les dialogues ne sont pas assimilables à des récitations, comme c’est généralement le cas pour certains films camerounais.
La Musique aussi n’est pas des restes. Elle est très évocatrice de la conscience. Le film aurait pu aussi avoir des chansons très tristes qui laisseraient des cinéphiles en larmes. Mais seulement, l’objectif visé est interpellatif.
Le court métrage « Angles » peut laisser un goût d’inachevé chez certains, mais peut-être, que cela ne restera que la partie de la psychose engendrée par un trop grand nombre d’accidents sur les axes routiers au Cameroun. Des remords au niveau de tous les maillons impliqués. Des craintes d’entamer un voyage sans risque. L’insécurité.
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Fixation sur la femme
Toutefois, de manière subtile, le film de Frank Thierry Léa Malle donne une origine à ces différents accidents qui n’est autre que la contrainte familiale impliquant de façon immédiate la femme. Tatiana Matip (Ngo Bass) et Virginie Ehana (Magnie) sont les deux femmes qui mettent la pression aux hommes sur des questions financières. Résultat du drame. La femme est, une fois de plus, qualifiée de matérialiste sous cap. Accusée d’être toujours à l’origine des maux dans la société comme à la genèse avec Adam et Eve. Elle est responsable et l’homme sa victime. Cette perception de la femme montre aussi son importance et le très grand rôle qu’elle peut jouer dans la stabilité de son foyer.
Bref, le film est intéressant même si cela ne souligne pas les efforts entrepris par le gouvernement camerounais à mettre fin à ces accidents souvent qualifiés pour certains de sacrifice ou rituel comme le relève les propos recueillis du prophète Georges (6min 25s) dans le reportage du film.
Par Tatiana Kuessie
Cet article a été rédigé dans le cadre de la formation en critique organisée par le programme No’o Culture et l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle (APIC)