Fernando D’Almeida. Le poète, critique littéraire, enseignant d’université et journaliste décédé le 23 février 2015 à l’âge de 60 ans aimait les plaisirs de la vie et avait de la passion pour son travail.      Le départ de Fernando D’Almeida a sans aucun doute laissé un vide au sein de la grande famille des poètes, des écrivains, des enseignants et des journalistes. Les amis et proches le savaient certes malade, mais ils ne s’attendaient pas une triste nouvelle de sitôt. C’est que Fernando D’Almeida n’avait jamais voulu présenter des signes de faiblesse ou de méforme. Il a toujours su se montrer plus fort que la maladie qui le terrassait depuis quelques années. A l’hôpital Général de Douala où il se rendait deux fois par semaine pour des séances de dialyse, sa venue était plutôt d’un grand apport thérapeutique pour les autres patients. Le personnel de l’institut hospitalier appréciait la bonne humeur qu’il partageait avec les malades. « Il mettait de l’ambiance. Il faisait rire tout le monde. C’était difficile de savoir qu’il était lui-même un patient », raconte un jeune homme ayant partagé plusieurs fois la même salle à l’hôpital Général de Douala avec Fernando D’Almeida.     Mais l’insuffisance rénale dont souffrait Fernando D’Almeida a eu raison de lui lundi 23 février 2015. Cet homme plein de vie a été retrouvé mort sur son lit à son domicile au quartier Bonamoussadi à Douala. La maladie avait déjà fauché l’enseignant, poète et écrivain camerounais dans un projet académique il y a près de six ans. Parti en France pour passer le Hdr (utilisé dans l’enseignement supérieur français pour désigner l’habilitation à diriger des recherches, ndlr), il n’a pas pu l’obtenir. Il a fait une chute et a été très vite rétabli dans ses états par des médecins français. Il retourne au Cameroun sans le précieux titre qui lui aurait fait passer de chargé de cours à Maitre de conférences à la Faculté des Lettres et sciences humaines de l’université de Douala, département de français et études francophone. Un univers qu’il abandonne brutalement, deux mois avant sa retraite. Il devait avoir 60 ans le 19 avril prochain. Les proches et connaissances de Fernando D’Almeida gardent de lui l’image d’un franc parleur, de quelqu’un qui n’avait pas peur de l’usage des mots. Et il avait le secret pour les manier. « Les mots qui nous paraissaient étranges, il les banalisait. Sa sensibilité de poète le poussait à ne pas se censurer », explique Jean Ferdinand Tchoutouo, bibliothécaire et ami du disparu. Il n’était donc pas étonnant qu’au détour d’une conversation, que Fernando D’Almeida évoque à haute voix le mot qui choque ou touche les sensibilités. Il a d’ailleurs développé la notion de Poérotique, entendez la poésie érotique. Fernando est de ces écrivains qui osent, qui effectuent des rapprochements entre des mots, tels qu’on ne le fait pas d’habitude dans la société soit par respect du sacré ou du respect du conventionnel. L’écrivain a intitulé l’un de ses livres « L’évangile du coït ». C’est tout dire. Prix Léopold Sédar Senghor Fernando D’Almeida écrivait beaucoup. Il a écrit de nombreux livres et recueils de poésies. On peut citer « Au seuil de l’exil » (1976), « Traduit du je pluriel » (1980), « En attendant le verdict » (1982), « L’espace de la parole » (1984). Considéré comme l’une des voix majeures et neuves de la nouvelle poésie africaine, l’auteur a plusieurs fois été sollicité pour animer des conférences et autres ateliers autour de la poésie. « Il était notre référent en matière de poésie. Sa bibliographie en la matière est très large. Jusqu’à son décès, tous ses manuscrits n’avaient pas encore été édités», confie un responsable à l’Institut français du Cameroun. Jean Ferdinand Tchoutouo le confirme, Fernando D’Almeida aimait écrire. Il écrivait tout le temps. A la moindre minute disponible, il enlevait un manuscrit de son sac pour le relire, ou y apporter des modifications. « Pour passer le Hdr, il lui avait été demandé de présenter quinze publications. Or, il en avait au moins une trentaine de publications. Donc ce n’était qu’une formalité pour lui. Mais la maladie a tout gâché », indique un ami du poète. Des publications qui emmènent D’Almeida à décrocher le 28 novembre 2008, le Grand prix Léopold Sédar Senghor de la poésie, organisé par la Maison africaine de la poésie internationale (Mapi). Il devient ainsi le premier africain à glaner cette distinction honorifique. Dans sa carrière littéraire, il a côtoie Mongo Béti et Henri Lopez.  Pour Fernando D’Almeida, selon des dires de ses proches, le meilleur poète camerounais c’est Patrice Kayo. Il appréciait chez celui-ci, la subtilité avec laquelle il emploie ses mots. Il l’a plusieurs fois rendu visite dans son village à Bandjoun, à l’Ouest du Cameroun. Fernando D’Almeida a aussi écrit des essaies sur ce Patrice Kayo. Il en a rédigé d’autres sur les œuvres du poète et éditeur Paul Dakéyo et sur les livres du ministre Jacques Fame Ndongo, entre autres. Et c’est tout naturellement qu’il prenait part aux évènements en rapport avec la poésie. Au festival 3V Poésie de Marcel Kémajou en 2011, Fernando D’Almeida n’a pas manqué de prêter une oreille attentive aux déclamations des plus jeunes, à qui il a apporté beaucoup de conseils. «J’avais déclamé un poème sur la vie des orphelins. A la fin, il m’a conseillé de lire les œuvres d’autres poètes, mais de ne pas écrire comme eux, de trouver ma voie, mon style. Il m’a donné beaucoup de conseils ce jour-là », se souvient une jeune poétesse. La rencontre Festival 3V Poésie s’est achevée cette année-là, comme à l’accoutumée, autour de bouteilles de bières. Un « viveur » Et Fernando D’Almeida aimait consommer de la bière. Tous ceux qui le côtoyaient le savent. « Il aimait la bière et les femmes. Il ne pouvait pas passer une semaine sans faire un tour à la Rue de la joie à Deïdo. Il buvait jusqu’à 3h du matin, le lendemain », raconte un ami. Pour lui, le poète était un « viveur ». Lui qui n’hésitait pas à taquiner les gens au passage, à lancer une phrase qui vous arrache le sourire. « D’Almeida aimait la vie. Il avait une passion de la vie et du travail », se souvient Jacques Dooh Bell, journaliste au quotidien à capitaux privés Le Messager. Il se présente comme un ami et cousin du disparu. Le journaliste a épousé la cousine du poète. Il revoit dans sa tête ce professeur qu’il n’a jamais rencontré en veste. Toujours habillé en boubou ou chemise, avec une touffe de cheveux sur le crâne. « Il était à l’aise avec tout le monde. Autant il était dans des grands salons avec des personnalités, autant il se retrouvait dans les bars, sur les casiers de bière. C’était un homme de toutes les situations », affirme Dooh Bell. En journalisme, Fernando D’Almeida a essentiellement travaillé dans la rubrique Culture. Mais a aussi traité les sujets d’autres rubriques avec la même aptitude. D’Almeida a fait partie de la rédaction de la presse du Cameroun, l’ancêtre de Cameroon Tribune. On l’a lu dans le mensuel Bingo. Il animait aussi sa revue Les Cahiers de l’estuaire. Il a été secrétaire de rédaction au journal La presse de la nation d’Honoré De Sumo. Cet ex-journaliste n’a pas tué l’amour de la plume en lui, après son départ de la presse. Il a prêté son savoir-faire au journal « Rein Info », édité par une association de soutien aux personnes souffrantes d’une insuffisance rénale, a –t-on appris. Fernando D’Almeida est né le 19 avril 1955 à Douala, d’un père Béninois d’ascendance brésilienne et d’une mère Camerounaise. Papa, Pierre D’Almeida, était un cheminot employé à la Régis des chemins de fer (Régifercam). Le petit D’Almeida passe une partie de son enfance au quartier New-Bell, dans l’arrondissement de Douala 2ème. Il s’envole ensuite pour la France. Après avoir terminé des études à l’École des hautes études en Sciences Sociales de Paris, il obtient un diplôme d’études approfondies en Littératures et civilisations d’expression française. Il obtient un doctorat ès lettres à l’université de Paris-Sorbonne. Il arbore ensuite plusieurs casquettes, notamment celles de journaliste, conférencier, critique littéraire, poète et enseignant d’université. Il perd son épouse il y a près de quinze ans, alors que les enfants sont inscrits au premier cycle du secondaire. Après ce décès, le poète ne s’est pas remarié. Il a continué à vivre dans son domicile sis au quartier Bonamoussadi. C’est à l’intérieur de sa chambre que son corps inanimé a été découvert le lundi 23 février 2015. Fernando D’Almeida venait de tirer sa révérence. Mathias Mouendé Ngamo