Déguerpissements. Près de 3000 maisons ont été démolies sur une superficie de 40 hectares de terrain appartenant à la Magzi à Bonabéri. Difficile de se frayer un chemin au milieu de tous ces camions de déménagement qui obstruent les différents couloirs du quartier Nkomba à Bonabéri, dans l’arrondissement de Douala 4ème. Il est 11 h ce vendredi 28 mars 2014. Un car de transport en commun, communément appelé « Cargo », vient d’entamer une manœuvre. Le véhicule bloque le chemin. « Dégage de là avec ton vieux car. Tu as déjà sauvé des choses et tu veux nous empêcher de faire de même ? », crie un habitant, rouge de colère. Il transporte un réfrigérateur sur la tête. D’autres habitants de Nkomba, courroucés, lancent des invectives au chauffeur du « Cargo ». Celui-ci parvient à libérer la voie au bout de cinq minutes. Les habitants accélèrent le pas. Ils transportent des meubles ou des appareils électroniques. Ils se disputent le chemin avec des motos, des triporteurs et des porte-tout.  A une dizaine de mètres de ce bouchon, de gros engins détruisent tout sur leur passage. Les populations vont dans tous les sens. C’est le sauve qui peut. On  essaye de récupérer des meubles. Arrache clou et marteau en main, des propriétaires de domiciles s’attèlement prioritairement à enlever les tôles. Perché au premier niveau d’une maison à étage, un habitant balance les feuilles d’aluminium à un ami, qui doit les classer dans un coin au rez-de-chaussée. Le reporter manque de peu d’être décapité par une tôle. Tout le monde est à l’œuvre ici. Les enfants aussi. Certains secouristes de fortune présentent des blessures sur les bras, aux joues et aux jambes. Plus de 150 policiers et gendarmes armés Au milieu de toute cette marée humaine, une petite fille d’environ sept ans tient une table sur la tête. Elle est en larmes. Elle ne retrouve pas les membres de sa famille. Des élèves en tenue de classe ont quitté les cours aussitôt qu’ils ont appris la nouvelle des casses. Ils se donnent à la tâche. Certains d’entre-eux ont encore le sac accroché au dos. Pas une minute de répit. Les engins avancent rapidement. Ils sont maintenant à la hauteur de la maison à étage. Les propriétaires libèrent les lieux illico. Un premier pan de mur cède. Un épais nuage de fumée se propage dans l’atmosphère. Les populations étouffent. « Mon Seigneur pardon sauve-nous oh !!! », implore une quinquagénaire. Sa prière est exhaussée. L’engin destructeur est coincé dans les décombres à cinq mètres de sa maison. La dame en profite pour récupérer d’autres ustensiles de cuisine. Des policiers et gendarmes empêchent aux habitants de franchir le cordon de sécurité. Plus de 150 éléments des forces du maintien de l’ordre encadrent l’opération des casses. Ils sont constitués des policiers de l’Equipe spéciale d’intervention rapide (Esir), du Groupement mobile d’intervention n°2 (Gmi2), des gendarmes et des forces spéciales de la Misca. Les hommes en tenues sont armés de fusils, de matraques et de bombes à gaz lacrymogène. Des camions antiémeutes de la police et de la gendarmerie sont garés dans un coin. Une bombe à gaz lacrymogène est lancée pour repousser les sinistrés qui défient les forces de l’ordre. La foule se disperse. Les gros engins viennent d’arrêter les casses. Ils se dirigent vers la sortie du quartier. Les habitants croient leur calvaire terminé. Au bout de 35 mètres, au niveau du stade Nkomba, les engins s’immobilisent et reprennent les destructions de ce côté-là. Certains habitants sont pris au dépourvu. Une dame n’a pu sauver, en tout et pour tout, que les seuls vêtements qu’elle arbore.     « Une catastrophe humaine » C’est la troisième journée des casses au quartier Nkomba. Les déguerpissements ont débuté mercredi 26 mars 2014, vers 5 h. Les maisons ciblées sont celles établies sur le terrain de la Mission d’aménagement et de gestion des zones industrielles (Magzi). «Le processus de déguerpissement s’inscrit dans le cadre des nécessaires actions de libération des terrains de la Magzi partout au Cameroun, en vue de la poursuite du programme d’aménagement des sites de cette entreprise », précise un dossier de presse. 2300 maisons à détruire avaient été dénombrées lors d’un recensement effectué il y a six ans, sur une superficie de près de 40 hectares. « Avec les nouvelles constructions, on peut compter actuellement 3000 maisons. S’il y a cinq personnes par maison, ça nous fait 15 000 sinistrés. C’est énorme », a-t-on indiqué à la chefferie de Nkomba. Le chef du quartier, Maurice Belong, visiblement très émue, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. « Je n’ai rien à ajouter sur ce que vous savez déjà. Ca fait un très grand choc. Vous n’avez qu’à voir ce qui se passe. C’est une catastrophe humaine », a-t-il déploré.      Sur le site des déguerpissements, des milliers de maisons sont éventrées, rasées. Des poteaux et câbles électriques de la haute tension trainent à même le sol. Des sinistrés airent, à la recherche d’une maison à louer. Le petit marché du coin, des centres de santé, l’école primaire « People Progressive», la mosquée et autres lieux de prière ont été saccagés. Des meubles sont entassés un peu partout, en plein air. Les sinistrés ont vécu en ces lieux pendant plusieurs dizaines d’années. Ils indiquent qu’ils n’ont pas reçu de sommation avant les casses. Des employés de la Magzi soutiennent que plusieurs réunions ont été entreprises avec le sous-préfet de Douala 4ème pour les sensibiliser. Samedi, il n’y a pas eu déguerpissement à Nkomba. Mais les populations attendent, le cœur serré, le retour des engins. Les prochaines victimes s’attèlent déjà à détruire elles-mêmes leur propre maison, et récupérer ce qui peut l’être.   Mathias Mouendé Ngamo