Quotidien: Joies et peines des « enfants Sos » de Douala
- 16 juillet 2013
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Orphelins, abandonnés, rejetés et victimes de préjugés, ils retrouvent la chaleur d’un foyer familial au Village d’enfants Sos, un centre d’accueil au quartier Mbanga-Bakoko.
L’atmosphère est lourde sous le ciel de Douala ce lundi 24 juin 2013. N’empêche ! Nous devons nous rendre au chevet d’enfants en détresse du côté de Mbanga-Bakoko. Parti du lieu-dit Ancien Dalip au quartier Akwa, sous la pluie, on emprunte un premier véhicule pour « Tradex-Village ». Puis un autre pour Yassa. Ici, il faut négocier avec une moto pour la destination finale, le Village d’enfants Sos Douala.
Les mototaximen qui s’y rendent sont peu nombreux. La course est taxée à 300 F. Cfa. Le véhicule à deux roues roule sur la chaussée jusqu’au niveau du Pont bascule de Yassa. Il emprunte ensuite un chemin à gauche, qui mène au quartier Mbanga-Bakoko. La route est glissante. Quelques flaques d’eau jonchent le sol par endroit. La moto fait des slaloms. Et au bout de deux kilomètres de route sur terre battue, le Village d’enfants Sos Douala s’offre à nous.
On s’enregistre chez le vigile en faction. La visite peut commencer. Le ciel s’est adouci. Plus que quelques fines gouttes d’eau arrosent encore le sol en terre battue. Des enfants s’amusent dans la cour. Un peu plus loin, d’autres gamins jouent au ballon sur un terrain de handball entouré de broussaille. Le Village est vaste. Il s’étend sur sept hectares, apprend-on. Des bâtiments construits sur un même modèle poussent de part et d’autres de la voie. Ils sont entourés de beaux jardins. Ce sont les maisons familiales. Il y en a douze en tout.
Depuis 2007, chacune de ces maisons abrite une famille de dix « enfants Sos ». Soit un total de 120 enfants, habitant le Village. Les pensionnaires rencontrés ici sont des tout-petits ayant perdu la prise en charge parentale. On retrouve notamment des enfants abandonnés, des orphelins, des enfants rejetés, victimes de préjugés, ou des enfants dont la mère est « malade mentale ».
Mère Sos
« Nous accueillons les enfants âgés entre 0 et 8 ans. A ces âges là, ils sont encore malléables. Ils arrivent de tous les coins du Cameroun. A l’âge de 23 ans, ils sont censés sortir du système Village d’enfants Sos»,
indique Innocent Ngodbo, directeur du Village d’enfants Sos Douala.
Les « enfants Sos » sont recommandés par le Ministère des Affaires sociales (Minas), institution avec laquelle Sos village d’enfants Cameroun a signé une convention en 1990, nous indique t-on. Les services du Minas mènent au préalable une enquête sociale et délivrent un rapport. Les enfants bénéficient de l’encadrement d’une « mère Sos ». D’après le directeur du Village, la « mère Sos » crée une relation avec les enfants, apporte l’amour, la sécurité et la stabilité, dont ils ont besoin pour s’épanouir. Tout se passe comme dans une famille naturelle. Le directeur du Village incarnant ici le rôle du père.
Le recrutement de la « mère Sos » est rigoureux. Les candidates qui postulent à l’offre d’emploi doivent être titulaires d’au moins un Brevet d’études du premier cycle (Bepc). Elles passent un test écrit, des tests psychologiques et des entretiens. Elles assistent en outre à des formations sur le rôle de maman.
« Ce sont en fait des mères professionnelles. Elles habitent avec les enfants. On n’accepte pas de femmes mariées ou celles qui ont des enfants en charge ou qui ont des enfants de moins de 7 ans. Ce sont des femmes célibataires ou veuves. On s’assure que les femmes retenues et qui ont des enfants, que ces derniers sont pris en charge par leurs familles »,
explique Innocent Ngodbo.
Nous avons franchi la porte de la « maison familiale 9 ». Le décor intérieur est assez saisissant. Des ballons gonflables sont accrochés au plafond. Des guirlandes et des dessins ornent les murs. Des peluches sont disposées dans les canapés. Angéline Bayang, la maitresse des lieux, offre son hospitalité. « Vous voulez quelque chose ? Des omelettes ? Une tasse de café ? », propose t-elle. Elle demande à « sa » fille, Delphine, d’apprêter les tasses. Oups ! Il n’y a plus de café.
La discussion se poursuit avec la « mère Sos», une jeune dame, à en juger par son allure. Maman Angéline a dix enfants à sa charge, dont cinq garçons et cinq filles. Les garçons ont leur chambre, les filles, la sienne. Les tout-petits dorment sur des lits superposés. Chacun a son lit, son placard, ses effets. Le quotidien est semblable au vécu de toute famille naturelle. « Le matin, les enfants prient et participent aux tâches ménagères. Ils respectent mutuellement», affirme la ménagère.
Les gamins se rendent ensuite à l’école. Certains sont inscrits à l’école primaire et maternelle Hermann Gmeiner, du nom du médecin autrichien, fondateur du premier Village d’enfants Sos dans le monde en 1949, pour répondre au problème des enfants solitaires et errants, au lendemain de la deuxième guerre mondiale. L’école se trouve à une centaine de mètres de la « maison familiale 9», à l’intérieur du Village. L’établissement scolaire accueille un pourcentage important d’écoliers en provenance des quartiers environnants. « Nous avons 207 élèves externes, et 80 élèves internes », détaille Blaise M’balla Atsama, le directeur de l’école.
Jean-Marie et Christelle sont inscrits au collège Notre dame de Christian Tumi, à l’extérieur du Village.
« Ils ne reçoivent que des internes là-bas. Nos enfants font partir des exceptions »,
se réjouit Angéline Bayang, « mère Sos » dans la « maison familiale 9 » depuis 2010.
Elle a succédé à une autre « mère Sos », intégrée dans la fonction publique en qualité d’enseignante. Angéline Bayang est titulaire d’une licence en Droit, obtenue à Yaoundé. Elle a donné naissance à un garçon lorsqu’elle était étudiante. L’enfant, âgé de 7 ans, est pris en charge par ses parents.
Député junior
La « mère Sos » de la « maison familiale 9 » est une maman heureuse. L’expression de son visage en dit long. Les enfants ont tous été admis en classe supérieure. Jean-Marie a été promu en classe de Seconde et attend les résultats du Bepc. « L’examen était abordable », glisse l’élève, élu député junior en 2010. Sa sœur Christelle, élève en classe de Seconde C est l’actuelle député junior dans la famille. Cet après-midi, les enfants sont regroupés dans une pièce. Ils mangent. On les entend discuter paisiblement.
Une dame vient de toquer à la porte. « C’est une tante Sos », nous signale t-on. Elle participe de l’encadrement des enfants. C’est la « tata ». Il y a aussi dans la chaine de suivi, une assistante familiale qui veille au travail des « mères Sos ».
Un petit tour à la « maison familiale 11 », chez maman Rebecca. La dame encadre trois filles et sept garçons. Quatre de ses enfants sont âgés de 9 ans. Rebecca a trois fratries dans sa famille. Au village, les fratries naturelles ne sont pas divisées. Jean-Louis, le plus petit, est endormi.
« Ce sont les congés. D’autres enfants iront bientôt les passer dans leurs familles naturelles. Cela est possible lorsque les familles en font la demande»,
relève Rebecca.
La maman présente sa famille à travers les photos affichées sur le mur. Elle devient nostalgique. « Ici c’est Jean Fidèle avec son petit haut bleu. Voilà son petit frère. Lorsqu’ils venaient d’arriver, ils étaient tout petits », se souvient la dame, employée au Village depuis sa création en 2007. Chacun de ces enfants a une histoire bien particulière, que la « mère Sos » connait et respecte. Le respect des Droits de l’enfant est de mise ici.
Coupés du monde
Patrick prend congé de la « maison familiale 11 ». Il a l’air pressé. Il va rendre visite à une voisine internée au centre médico-social du Village. Des patients des quartiers environnants s’y soignent aussi. Une relation s’est de fait nouée entre les enfants du Village et ceux du quartier Mbanga-Bakoko. Ils se rendent mutuellement visite. Mais attention ! Chez maman Angéline Bayang, l’heure du « couvre-feu » est fixée à 18 heures. « Les enfants ont le droit de s’amuser. Les mères Sos disposent elles-aussi de quatre jours de repos par mois. Pendant cette période, nous sommes relayées par la tante Sos »,
explique maman Rebecca.
Angéline Bayang est par ailleurs chargée des activités sociales et culturelles du Village. Elle affirme que les enfants ont la possibilité de se divertir à travers les clubs santé, karaté, musique, scoutisme, entre autres. Mais le Village d’enfants Sos Douala souffre d’un réel problème infrastructurel. Il y a de grands espaces, mais pas suffisamment d’infrastructures. Il n’y a pas de gymnase, ni de terrain de football. Les enfants se débrouillent dans la cour de l’école, près de la broussaille.
Innocent Ngodbo décrie l’enclavement, et notamment l’état de la route qui rend difficile les sorties et le contact avec l’extérieur. « A une certaine heure, les motos refusent de vous transporter. Le Village a été braqué en 2009 et en 2010», rapporte un riverain. Il y a aussi les factures d’électricité qui, d’après le directeur du Village, atteignent des centaines de milles (F. Cfa) chaque mois.
« Pour une structure à caractère sociale qui ne génère pas de revenus, ce n’est pas facile à gérer »,
déplore Innocent Ngodbo.
Le Village d’enfants Sos Douala vit exclusivement de dons. La manne commence à se faire rare. « Nous n’avons pas de donateurs locaux. La plupart de nos donateurs viennent des pays étrangers. A cause de la crise financière, leur apport est de moins en moins constant. Ce qui paralyse le fonctionnement du Village», regrette le directeur. Il reconnait tout de même que le Village bénéficie de l’exonération des frais de Douanes, et de Tva sur l’achat de grands équipements.
Mathias Mouendé Ngamo