Dr. Ernest Kotte Mapoko : « les mangroves sont irremplaçables»
- 23 novembre 2022
- 0
L’enseignant chercheur à l’Institut des Sciences Halieutiques de l’Université de Douala à Yabassi, spécialité Écologie et Biodiversité des milieux aquatiques, relève l’importance de la préservation de la mangrove, sans toutefois faire fi du développement économique lié à sa destruction.
C’est quoi la mangrove ?
Différents facteurs permettent de définir la mangrove et par conséquent conditionnent sa mise en place et sa dynamique. Il s’agit de la physionomie et la structure de la végétation, les substrats hydromorphes (balancement des marées ou alternance des courants marins) et la localisation (milieu tropicaux et subtropicaux, embouchure des rivières, estuaires, deltas). Ces facteurs dépendent à leur tour des facteurs géomorphologique, hydrologique, climatique et biologique à l’échelle locale ou des régions. La mangrove est alors l’ensemble des formations arborescentes, arbustives et herbeuses à caractère halophile (qui tolère la salinité du milieu) que l’on rencontre à l’embouchure des rivières, estuaires, deltas, lagunes, dans les zones côtières, des milieux tropicaux et subtropicaux et qui subit l’alternance des courants marins. Ce qui fait de la mangrove une sorte d’interface, un écotone, c’est-à-dire un écosystème de transition entre le milieu marin et le milieu terrestre, qui rend ce milieu à la fois complexe et fragile.
Quel est son rôle dans la vie de l’Homme et dans l’environnement ?
La qualité de la biodiversité des mangroves conduit à des processus écologiques qui contrôlent l’exécution des fonctions environnementales et l’approvisionnement des biens environnementaux, des services et attributs. L’utilisation de ces biens, services et attributs contribue au bien-être des humains. En plus d’être des lieux d’habitation et de récréation pour les populations indigènes, les mangroves intègrent par la même occasion, les croyances religieuses et spirituelles ainsi que la culture locale, dont le Ngondo. Les plantes de mangroves sont collectées pour la construction des habitations comme le bois de chauffe et/ou le charbon, pour leurs propriétés médicinales. Les milieux de mangrove sont par ailleurs exploités en agriculture et aquaculture pour l’extraction du sable et la vente des ressources halieutiques (poissons, crevettes, huîtres, etc.)
Les mangroves jouent un rôle tampon, primordial de préservation et de protection du littoral. Comme tout écosystème forestier, les mangroves jouent aussi un rôle important dans la réduction de l’effet de serre et participent à la lutte contre le réchauffement climatique, dont est victime notre planète. Les mangroves sont irremplaçables et uniques car elles abritent une biodiversité incroyable et sont parmi les écosystèmes les plus productifs au monde. Pour les diverses communautés animales qui y résident, les mangroves représentent autant un habitat, qu’une aire d’alimentation, un lieu de repos, de reproduction ou un refuge. Ainsi, les estimations montrent qu’environ 80 % de poissons sont directement ou indirectement dépendant des mangroves.
Lire Aussi: Environnement : Environ 31% de mangrove perdue en 5 ans à Bonabéri
Y aurait-il une loi sur la protection de la mangrove au Cameroun ? Si oui, laquelle ?
Les mangroves au Cameroun sont protégées par la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 relative à la gestion des forêts et de la faune et la loi n° 96/12 du 05 août 1996 fixant le cadre juridique de la gestion de l’environnement au Cameroun. Cette dernière stipule dans son article 94 que « les écosystèmes de mangroves font l’objet d’une protection particulière qui tient compte de leur importance dans la conservation de la diversité biologique marine et le maintien des équilibres écologiques côtiers ». Cependant, l’application de cette loi n’est pas effective et par conséquent expose ces milieux à une exploitation irrationnelle. Rappelons également que le 13 janvier 2006, le Cameroun a adhéré à la convention de RAMSAR qui protège les zones humides. Malheureusement, en plus d’ignorer l’importance des mangroves, les riverains ne prennent pas en considération l’existence de la loi qui établit ces écosystèmes comme zones protégées.
Une zone de mangrove peut-elle être exploitée ?
Dans une perspective économique, les mangroves offrent des biens et des services à forte valeur monétaire. L’exploitation des mangroves se fait à différents niveaux de la subsistance et de l’artisanat par les populations locales, jusqu’à l’exploitation industrielle par des grands exploitants, l’Etat ou des investisseurs étrangers. Souvent aux détriments même des populations locales.
Les populations qui s’y installent exploitent le plus souvent des ressources se trouvant dans leur environnement immédiat. En outre, sur les côtes camerounaises, les activités minières, l’exploitation pétrolière, l’extension du domaine portuaire, l’agrandissement de la zone industrielle de Bonabéri, l’extraction du sable, la création des villages et des campements de pêche sont des exemples évidents de l’exploitation des mangroves. La construction des deux ponts sur le Wouri s’est faite dans des zones de mangrove.
À la délégation régionale de la Forêt dans le Littoral, l’on parle de mesure de compensation environnementale. Qu’est-ce que cela pourrait impliquer ?
L’Etat met des mécanismes pour éviter, réduire ou compenser l’impact que ces projets gouvernementaux pourraient avoir sur l’environnement. Mais pour qu’il y ait toujours de la végétation, on peut planter du gazon avec des arbres décoratifs ou fruitiers pour le même service que celui de la forêt. Si l’on peut éviter l’impact de la destruction de la mangrove, qu’on le fasse. Sinon, on essaie de réduire l’impact de la destruction de la mangrove. Mais si on ne peut ni éviter ni réduire cela, il faut compenser. C’est un peu comme les indemnisations. Si une route doit passer quelque part, on fait le tracé de la route de façon à ce que ça touche le minimum de personnes possibles. Et pour ceux que ça touche, on essaie de les recaser quelque part, ou alors on les indemnise.
Qu’est-ce que la destruction de la mangrove pourrait engendrer dans la vie des populations qui sont tout autour ?
La conséquence immédiate qui a été mise en évidence est la perte de la superficie originale des mangroves. Au Cameroun, le taux de perte des mangroves est de l’ordre de 8 à 10%. Ce qui est le résultat de leur utilisation pour l’agriculture, l’urbanisation anarchique, la coupe excessive du bois, l’extraction du sable, la création des villages et des campements de pêche et les activités pétrolières. Cette destruction des mangroves entraîne forcément la perte de la biodiversité. Par conséquent, la perte des biens, services et attributs fournis par la mangrove.
Lire aussi: Douala : Un hackathon pour trouver des solutions innovantes au changement climatique
Quels seraient les effets de cette destruction dans l’environnement ?
Les conséquences de la destruction des mangroves nous les vivons même déjà. Ce sont notamment les inondations dans la ville de Douala. Et comme nous l’avons dit plus haut, la destruction des mangroves contribue au réchauffement climatique. Une autre conséquence est la diminution, voire la disparition de nombreuses espèces halieutiques. Les palétuviers fournissent un soutien structurel aux communautés côtières en agissant comme barrières entre les tempêtes côtières, les vents violents et les habitations.
Court-on vers une perte totale de la mangrove ?
Il y a plein de statistiques qui ont été alarmantes à ce sujet. Certaines ont dit il y a 10 à 20 ans, que dans les 100 prochaines années, on risque d’avoir un monde sans mangrove. Heureusement, il y a des personnes soucieuses de l’environnement, des personnes qui ont des projets de reboisement. La tendance est quand même en train d’être inversée. Le taux de couverture qui diminuait se stabilise, grâce aux Ong qui œuvrent dans le reboisement et au gouvernement. Les populations prennent de plus en plus conscience de l’importance de la mangrove, en préservant leur environnement. Ce qu’on ne dit pas souvent. A Yoyo par exemple, les populations font des efforts pour laisser les grands arbres proches des habitations. La preuve que la tendance change, même s’il est vrai qu’elle est encore vers le déclin chez nous. Mais des politiques sont déjà mises en place pour renverser cela.
Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo et Michèle Ebonguè
En collaboration avec le quotidien Le jour dans le cadre du projet Open Data for environment and Civic Awareness in Cameroon(ODECA), initié par ADISI-CAMEROUN. Le projet est financé par le Centre for Investigative Journalism (CIJ) dans le cadre du programme OCRI (Open Climate for Reporting Initiative).