Ranger (nom d’emprunt) : « Nous n’avons pas de moyens pour assurer la surveillance »
- 13 novembre 2023
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Témoin de la convoitise pour les espèces protégées comme le pangolin, est également diplômé d’une école spécialisée au Cameroun. Il a parcouru les sites de plusieurs aires protégées, regrettant l’impuissance des autorités face au trafic.
Comment êtes-vous devenu écogarde ?
J’ai découvert un de ces jours, lorsque j’étais au campus de l’Université de Yaoundé I, une affiche qui annonçait le concours d’entrée à l’École nationale des eaux et forêts. J’avoue que je ne savais pas qu’une telle école existait. Je n’avais d’ailleurs aucune idée de ce qu’est la protection de la biodiversité, de la faune. J’ai fait le concours en me disant : « On ne sait jamais ». Admis, j’ai intégré l’établissement et je suis tombé amoureux de la forêt et de tout ce qui s’y trouve.
Selon vous, quelle est l’importance de la lutte contre le trafic des espèces protégées ?
Si nous ne luttons pas pour préserver la biodiversité, certaines espèces vont disparaître et les générations futures ne pourront pas en profiter. Si on pouvait avoir des moyens pour renforcer la lutte contre le braconnage, ce serait vraiment d’un grand avantage pour la conservation de la biodiversité faunique.
Que faites-vous pour répertorier les espèces présentes dans le parc où vous travaillez ?
Le suivi écologique est l’activité qui consiste à recenser les espèces qui existent dans une aire protégée. Dans le cadre de ce suivi écologique, nous faisons souvent des descentes de terrain. En forêt, nous pouvons suivre des pistes qui permettent d’identifier les espèces. Par exemple, régulièrement, nous avons vu des traces de crottes d’éléphant. Ce qui permet de certifier de la présence des éléphants dans la forêt. On peut aussi placer des caméras. Au bout d’une période, on regarde les images et cela nous permet d’identifier les espèces. Il y a des zones où l’on retrouve le pangolin en abondance. Le cas de la réserve du Dja. On en trouve dans toutes les antennes : Meyomessala, Djoum, Ngoyla-Mintom, etc.
Quel est le rôle d’une aire protégée ?
Une aire protégée est d’abord créée pour protéger une espèce animale spécifique de classe A (une espèce intégralement protégée dont la chasse est strictement interdite, exceptée pour des besoins spécifiques comme la recherche. NDLR).Avant mon intégration comme fonctionnaire au ministère de la Faune et de la forêt, je faisais des consultations auprès d’une ONG. Ces consultations m’ont permis de travailler dans les aires protégées de la région du Sud et de l’Est(…) J’ai été dans la réserve du Dja, Ngoyla-Mintom, où il y a une Unité technique opérationnelle (UTO). Là-bas, il y a des gorilles, des éléphants, des pangolins et des chimpanzés. Tu peux tuer un pangolin et une autre personne tue un chimpanzé, mais ta sanction est plus lourde que celle de celui qui a tué le chimpanzé. Les ONG accordent beaucoup de valeurs au pangolin, parce que c’est déjà en voie de disparition.
Les ONG sont-elles les seules à se préoccuper de la conservation des espèces comme les pangolins ?
Le ministère a produit des affiches en format PDF, portant des photos des différentes espèces protégées par catégorie. A,B,C. Tous les écogardes le savent. En début de chaque année, le service de conservation de chaque aire protégée conçoit un Plan de travail annuel (PTA), qui recense l’ensemble des travaux prioritaires. A côté de cela, il y a les autres activités. Dans le parc, nous avons trois axes d’intervention : Le suivi écologique, la lutte anti braconnage et la sensibilisation. Que les ONG soient là ou pas, nous sommes obligés de conduire les missions qui concernent ces axes d’intervention. Mais nous avons des limites. Les caméras de surveillance par exemple, nous n’en avons pas ici. Ce sont souvent les ONG qui les fournissent. Le ministère n’a pas suffisamment de ressources.
Quel est le profil de ceux qui chassent le plus ces pangolins ?
Les pygmées et d’autres camerounais. J’ai souvent travaillé avec des pygmées qui raffolent de ces espèces. Plusieurs fois en forêt avec eux, ils ont souhaité capturer des pangolins alors que nous étions ensemble.
Avez-vous été témoin de saisies d’espèces, de pangolin notamment ?
Une fois, j’étais en forêt quand il y a eu une saisie… Je n’ai pas pu voir le contenu des sacs saisis. Mais il y a une ONG dans la région du Sud, quand elle voit le pangolin, elle y insère des puces. Il est donc possible de retracer le parcours et la destination des individus capturés et de remonter jusqu’à vous, si vous avez des carcasses chez vous.
Qu’est ce qui peut être fait pour renforcer la lutte contre le braconnage ?
Nous avons besoin de matériel roulant, d’une embarcation pour naviguer en mer. L’Etat doit recruter plus de personnels et faire du renforcement de capacités. Malheureusement aussi, nous n’avons pas de moyen pour assurer la surveillance sur l’eau. Il est possible que des espèces capturées soient transportées vers le Nigeria voisin.
En quoi souhaiteriez-vous voir vos capacités renforcées ?
Du 27 juillet au 20 août 2023 par exemple, le ministère a organisé un séminaire sur la criminalité faunique. Seuls 3 écogardes de ce parc y ont été coptés. Pourquoi ne pas impliquer tout le monde ? Pourquoi ne pas délocaliser les formations ?
Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo et Philomène Djussi