Enquête: Pourquoi les allumettes ne brûlent plus ?
- 13 mars 2012
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Contrefaçon. Il faut parfois compter jusqu’à la douzième bûchette pour voir briller la flamme au bout du bâtonnet. Le cri de détresse des ménagères ne trouve pas oreille attentive. Florine s’apprête à faire la cuisine sur le feu de bois. La jeune dame superpose six morceaux de bois en forme de pyramide. Elle asperge du pétrole sur les cendres et au sommet de la pyramide de bois. Elle claque une première bûchette d’allumette : « tickss! ». Le brin de bâtonnet se rompt. A la deuxième bûchette, la même résonance, mais aucune étincelle au bout. Au troisième claquement, la boulette de soufre feint de s’enflammer, mais se détache aussitôt de la tige de bois. Le scénario se répète ainsi sans étincelle, jusqu’à la neuvième bûchette. Et bientôt, il ne reste plus que 29 bûchettes dans la boîte de 40 bâtonnets que la ménagère s’est procurée à 25 Francs .Cfa chez le boutiquier du quartier. La bande à phosphore de la boite commence à se détériorer. « Par précaution, j’achète plusieurs boîtes d’allumette de différentes marques quand je fais le marché. Une boîte de 25 F.Cfa ne tient souvent à peine que le temps de trois cuissons », se plaint notre ménagère. « Il y a plusieurs marques d’allumette de nos jours, mais la mauvaise qualité a également fait son lit. Il arrive que la boule de soufre soit maigre. Souvent par chance elle est bien chargée. Mais tout n’est pas gagné. La boule peut être molle et donc ne pas produire d’étincelle », explique Carole Mogouom, une autre ménagère. Poursuivant, elle brandit une bûchette d’allumette de marque « Gino ». A l’aide de son pouce et de son index, elle écrase sans grande peine la boule de soufre. Les plaintes du genre se multiplient dans les ménages au Cameroun. La première préoccupation des consommatrices porte sur le nombre de bûchette d’allumette qui varie d’une boîte à l’autre. «La boîte est souvent à moitié remplie ou contient des bâtonnets sans soufre», lance une dame. L’autre inquiétude et la plus importante réside sur l’absence d’étincelle au bout de certaines bûchettes lors du claquement. Dans les boutiques, cinq principales marques d’allumette achalandent les étals. Il s’agit de « Le boxeur », « Le tireur », « Mama Africa », « Gino », « Saba Power ». Les différentes marques sont vendues au prix identique de 25 F. Cfa la boîte. Une première observation s’impose. Seule « Le boxeur » est fabriqué au Cameroun. Les autres marques d’allumette portent l’inscription « vente en Cemac » et sont importées de la Chine et de l’Inde. Sur quelques échantillons d’allumette sélectionnés, la boîte de « Gino » contient 40 bûchettes ; « Le tireur », 58 ; « Saba power », 51 ; « Mama africa », 46. « Nous allons bien au-delà de 50 bâtonnets tel que mentionné sur la boîte. Et nous n’avons pas encore reçu de plaintes de nos clients sur la qualité ou la quantité de notre produit », indique un agent commercial de Lettco International, la société importatrice des allumettes « Saba power ». L’agent commercial n’en dit pas plus. La Société des produits agroalimentaires (Sdpa) basée à Mboppi fait dans le commerce en gros d’allumettes « Le tireur ». « Nous n’avons jamais reçu des plaintes de détaillants. Pour le nombre de bûchettes par boîte, il vaudrait mieux se rapprocher des détaillants. Ils en savent plus que nous sur ce sujet. Nous vendons en carton et nous ne nous intéressons qu’au prix de la marchandise», relève un vendeur à la Sdpa. Poursuivant, il note que la marchandise est souvent en rupture d’approvisionnement. Contrefaçon La boîte d’allumette « Le boxeur » prise pour échantillon renferme 43 bûchettes. A vue d’œil, les boules de soufre sont bien chargées. Mais la flamme n’apparaîtra véritablement qu’au douzième claquement. A chaque frottement du soufre sur le phosphore, un « tikss ! » résonne. La flamme ne suit pas. Du soufre reste visible sur le bâtonnet, mais l’étincelle ne se produira pas. L’état de la bande à phosphore de la boîte a pris un coup. Pourquoi les allumettes « Le boxeur » ne produisent donc pas du feu au bout des tiges de bois? A l’Union allumettière équatoriale (Unalor), l’entreprise dépositaire de la marque « Le boxeur » basée à Douala et qui dessert toute l’Afrique centrale, on explique qu’il s’agit de produits issus de la contrefaçon. Et la mèche ne se vend pas loin. « Ce sont d’anciens clients d’Unalor. Ils ont longtemps vu notre façon de procéder. Ils vont à l’extérieur reproduire nos allumettes, passent par la contrebande et reviennent au Cameroun nous faire une concurrence déloyale qui tue l’industrie locale», dénonce Raoul Ngnepi, directeur d’Unalor. Pendant l’entretien dans son bureau à Ndokoti, Raoul Ngnepi claque séance tenante une bûchette d’allumette « Le boxeur » (made in house). La flamme brille aussitôt. Le directeur claque une 2ème, 3ème puis une 4ème bûchette. Le même résultat est enregistré. Lorsque nous reprenons l’opération plusieurs fois après, avec les boîtes originales, la bande à phosphore demeure en bon état. Les bûchettes se consument entièrement. On dénombre environ 40 tiges de bois dans différentes boîtes. C’est la moyenne fixée à Unalor. « Nous n’excluons pas qu’il puisse arriver que ce chiffre se situe légèrement en dessus ou en dessous de la moyenne, du fait des vibrations des machines pendant la fabrication. Cela peut arriver à toutes les entreprises », relève Raoul Ngnepi, visiblement très remonté contre les contrefacteurs. Les consommateurs qui achètent une boîte d’allumette de mauvaise qualité ignorent qu’il s’agisse d’un produit de la contrefaçon. Il est en effet difficile de différencier la boîte d’allumette contrefaite de l’originale. Aucune indication n’est disponible pour aider les ménagères lors de l’achat. Tout de même, une opération de saisie conduite par l’huissier Me Mbapou en 2010, a permis de mettre la main sur un stock de 1440 cartons d’allumette « Le boxeur » contrefaits. Raoul Ngnepi qui donne l’information indique également qu’Unalor traîne la société Scrp devant le Tribunal de grande instance de Bonanjo depuis 2009, pour contrefaçon. La société indexée ferait dans la fabrication des allumettes « Le tireur ». Humidité Si les allumettes contrefaites gagnent du terrain dans nos marchés, c’est aussi grâce à la disponibilité et au coût relativement bas du produit. Les grossistes se ruent vers cette marchandise qui offre un plus large bénéfice. Toutes les boîtes d’allumette sont vendues à 25 F. Cfa l’unité, pourtant le prix de livraison des cartons diffère. Une commerçante au marché Mboppi indique qu’un carton de boites d’allumette « Le Boxeur » est proposé 21.000 F. Cfa, « Le tireur » à 20.000 F. Cfa ; « Saba power » à 18000 F. Cfa. « Le carton d’allumette ‘‘Le boxeur’’ est vendu à 20.650 F. Cfa Ttc à la sortie d’usine, mais il arrive que les contrefacteurs proposent aux détaillants des produits de la contrebande portant la même dénomination, au prix de 17.000 F. Cfa », révèle t-on à Unalor. En plus, il y a la loi du marché qui impose une ligne de conduite aux commerçants. « Lorsque des clients se plaignent que certaines marques d’allumette ne sont pas de bonne qualité, nous réduisons aussitôt notre approvisionnement auprès des fournisseurs de la marchandise indexée», indique Rose Chi, commerçante au marché Mboppi à Douala. Selon la vendeuse, l’humidité peut également empêcher aux allumettes de s’enflammer. Elle explique qu’il y a des marques qui ne résistent pas au froid «Les ménagères doivent trouver des astuces pour mieux conserver leurs boîtes d’allumette, surtout en période de pluies », conseille la vendeuse. Certaines ménagères affirment qu’elles conservent leur boîte d’allumette dans un papier nylon, enfoui dans une boîte hermétiquement fermée. « Les allumettes déçoivent beaucoup. Je préfère souvent utiliser le briquet, encore faut-il qu’il soit de bonne qualité», déclare Désirée Njintou, restauratrice depuis plus de 15 ans au quartier Akwa. D’autres femmes plus entreprenantes prennent des initiatives pour trouver un début de solution à leur casse-tête quotidien. D’après Delor Magellan Kamgaing, président de la Ligue Camerounaise des Consommateurs, de nombreuses plaintes sur la qualité des allumettes actuellement vendues au Cameroun sont enregistrées au sein de son syndicat. Les multiples interpellations des pouvoirs publics n’ont pas changé les choses. Delor Magellan Kamgaing en appelle au déploiement de l’Agence des Normes et de la Qualité (Anor), pour la sécurité des consommateurs. « Il faut qu’une norme qui sera rendue d’application obligatoire, soit élaborée. Aussi, si les contrôleurs de prix, poids et mesures du ministère du Commerce faisaient correctement leur travail, ce type de problème serait aisément éradiqué. Malheureusement la corruption a fait son lit », dénonce le syndicaliste. Le reporter a appris par ailleurs que L’Etat du Cameroun vient de mettre sur pied la mercuriale, une mesure de protection économique qui impose une certaine valeur aux produits, dont les allumettes, qui entrent au pays. En attendant que cette mesure porte des fruits, le calvaire des ménagères, principales victimes, continue. Mathias Mouendé Ngamo