
Litige foncier au village Ngoma à Douala
- 2 février 2025
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Les annulations et contre annulations de titres fonciers superposés sur les mêmes parcelles à Ngoma, dans l’arrondissement de Douala 5ème sont à l’origine de tensions.
Tout de noir vêtue, une jeune dame est en larmes. Elle crie sa colère à tue-tête. Elle vient de s’allonger à même le sol devant un bulldozer pour l’empêcher de progresser et de détruire sa maison. Le vrombissement du gros engin qui bouge désormais sur place ne l’effraie pas. Elle défie la mort, les gendarmes armés et gros bras mobilisés pour cette opération ce samedi 18 janvier 2025 au village Ngoma.
Tous les autres habitants de cette localité située dans l’arrondissement de Douala 5ème sont sur le même pied de guerre. Ils s’opposent à la démolition de leurs bâtisses. Pour marquer leur désaccord, ils organisent une marche de protestation. Ils brandissent des tiges d’arbres en scandant des messages de revendications. Les manifestants ont pris le soin de coucher l’essentiel de leurs plaintes sur de grosses pancartes. Ils en appellent aussi à l’intervention du président de la République. On peut y lire : «Plusieurs titres fonciers sur le même terrain»; «Que justice soit faite à Ngoma »; « Papa Paul Biya au secours à Ngoma ».
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Genèse du litige à Ngoma
A la genèse de ce litige qui dure depuis plusieurs années déjà, un titre foncier n°16274 de 91 hectares appartenant à la collectivité de Ngoma. Ledit titre foncier a fait l’objet de plusieurs morcellements au bénéfice de plus de 500 particuliers. Ces acquéreurs y résident depuis au moins 20 ans, apprend-on. Seulement en 2022, la famille Enangue représentée par Mme Enangue Félicité obtient un titre foncier n°16653 de 61 ha localisé à Lendi, un village voisin de Ngoma. La même année, la famille Ngando représentée par M. Mvondo obtient un titre foncier n°43111 de 9 ha localisé à Lendi.
« Curieusement en 2024, ces deux personnes ont décidé de venir superposer leur titre foncier à Ngoma sur le titre foncier initial qui a déjà plus de 500 titres fonciers de morcellement aux particuliers », relève Daniel Heubou.
Ce riverain indique qu’en conséquence, des maisons ont été cassées et des bornes détruites à cet effet. « Ils ont détruit ma clôture et tout ce qui s’y trouvait. Bien que je sois propriétaire du titre foncier n° 22864 Wouri/B », se plaint Daniel Heubou.
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Batailles en justice et sur site
Le litige foncier a été porté en justice. Une plainte contre l’Etat du Cameroun (Mindcaf) est enregistrée auprès du Tribunal administratif du Littoral. En date du 13 mars 2024, cette instance juridictionnelle déclare l’annulation des arrêtés du 11 avril 2022 et du 31 mai 2022 relatifs aux titres fonciers de dame Enangue et du sieur Mvondo (famille Ngando). Le 09 mai 2024, une autre plainte introduite au Tribunal de première instance (Tpi) de Douala-Ndokoti contre les deux suscités ordonne « l’arrêt immédiat des travaux entrepris par les défenderesses sur le site litigieux jusqu’à l’issue de la procédure pendante devant le tribunal administratif du Littoral ».
Tandis que la bataille judiciaire bat son plein, des riverains relèvent que dans le même temps le jeu de l’arrêt et de la reprise des travaux s’alterne sur le terrain à Ngoma. Les machettes sont parfois brandies. Le 03 juillet 2024, le ministre des Domaines, du cadastre et des affaires foncières (Mindcaf), Henry Eyebe Ayissi, signe un arrêté portant retrait des titres fonciers n° 43111 et 16653/Wouri A établis au profit des familles Ngando et Enangue « sur des parcelles matériellement indisponibles, originellement occupées par la famille Logdikemb du village Ngoma (…) ».
L’article 3 dudit arrêté indique que les parcelles ayant fat l’objet des titres retirés réintègrent l’assiette foncière objet du titre foncier n° 16274/W de l’Etat du Cameroun. L’arrêté du ministre prend en outre acte de « la faute de l’administration ». Le chef de Ngoma révoqué, c’est un autre fils de Ngoma, en la personne de Christian Bakala, qui est désormais aux rênes.
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Flou et tensions
Le 15 novembre 2024, un an après la prise du trône par S.M. Bakala, le Mindcaf rétrocède à la famille Logdikemb représenté par le chef du village, une parcelle domaniale non bâtie de 61 ha au lieu-dit Ngoma. La parcelle est prélevée sur l’immeuble urbain plus grand objet du titre foncier n°16274 du département du Wouri. « Curieusement, ce titre foncier à la même superficie que celui de dame Enangue annulé », relève un riverain qui dit perdre la tête face à tous ces actes ministériels d’annulation et de rétablissement des titres fonciers qui se superposent, créent le flou et les tensions.
Depuis lors, entre les familles autochtones, les habitants de Ngoma et le nouveau chef du village, ce n’est pas le grand amour. Les populations se dressent à chaque fois que des engins et des gros bras débarquent sur le site pour des travaux de terrassement. Les marches de protestation et autres mouvements d’humeur s’accompagnent souvent de repressions.
Le nouveau chef est placé au banc des accusés. Il est soupçonné par certains riverains de spolier les terres du village en complicité avec l’administration. « Le chef est venu avec les gros prédateurs pour nous molester et se partager le butin », lance George Eyoum Bakala, un des neuf notables du village Ngoma.
Commission ad hoc
Aux derniers rebondissements de cette affaire qui ne connait pas encore de dénouement, il y a deux lettres du Mindcaf signées le 20 janvier 2025. Les missives sont envoyées au délégué régional du Littoral de ce ministère et au chef du village Ngoma. Elles informent de ce que demande a été faite auprès du préfet du Wouri pour la mise sur pied d’une commission ad hoc en vu du règlement du litige opposant les requérants (les familles Enangue et Ngando) à S.M Bakala Christian sur quatre titres fonciers concernés. Henry Eyebe Ayissi prescrit en outre, à titre conservatoire, la suspension des effets de ces quatre titres fonciers, à savoir les n° 43111, 16653, 25464 et 25465/W.
Mathias Mouendé Ngamo