Pk 14 – Ndokoti : la vie après la casse
- 9 juillet 2013
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Les engins de la Cud ont détruit habitations et espaces marchands dans ces quartiers de l’arrondissement de Douala 3ème.
Les commerçants du marché Pk 14 vivent avec la peur dans le ventre. Ils craignent de revoir les gros engins de la Communauté urbaine de Douala (Cud) venir détruire leurs comptoirs. Une telle opération a déjà eu lieu trois fois entre le 24 avril et le 3 juin 2013. Les bulldozers ont tout rasé. Les étales qui jadis obstruaient la chaussée ont été saccagés. Des conteneurs emplis de marchandises ont été broyés. C’est au total près de 150 commerçants qui ont été déguerpis dans cet espace marchand, selon les chiffres obtenus auprès de Marcus Ndom, le président de l’Association des commerçants (Adecom). Il estime à près de 300 millions de F. Cfa, les dégâts matériels enregistrés.
Aujourd’hui, la physionomie du marché PK 14 a complètement changé. Quelques pans de murs de boutiques détruites tiennent encore debout. Les vendeurs ont libéré l’emprise de la chaussée, mais occupent encore une partie de la « zone rouge », sous les câbles électriques de la moyenne tension. Les marchandises sont disposées sur des cageots de tomates, sur des bâches ou à même le sol. Les commerçants qui s’installent sur la chaussée courent le risque de voir leurs articles saisis par les policiers du commissariat de sécurité publique du 13ème arrondissement. Les vendeurs restent attentifs. Ça peut bouger à tout moment. Ils sont prêts à déguerpir, si la Cud rempile. « Ils ont promis qu’ils vont revenir tout raser. On se débrouille comme on peut, malgré les énormes pertes enregistrées lors des casses», se plaint une vendeuse. Les déguerpissements de la Cud entamés ici le 24 avril 2013 ont pour cibles toutes les constructions établies sous les câbles électriques de la haute tension et de la moyenne tension, dans cette partie de la ville.
Des marchés rasés
L’opération de démolitions a déjà touché les quartiers Pk 14, Pk 13, Pk 12, Pk 11, Pk 10 et Pk 9, dans l’arrondissement de Douala 3ème. Et les casses vont se poursuivre. Le long de la route empruntée par les engins, le décor n’est pas beau à voir. Les marchés Pk 14, Pk 12 Pk 10 et Pk 8 n’existent plus que de nom. Aucune boutique n’a été épargnée. Au marché de Pk 10, des débris de parpaings superposés, vestiges des casses, servent désormais de comptoirs aux sinistrés. « Nous avons tout perdu. Nous ne pouvons même pas placer des tables. Quand il pleut, nous sommes arrosées. Nous rentrons chez-nous le soir, avec le peu de marchandises que nous exposons », déplore Marie Betimé, une sinistrée.
De part et d’autres de la chaussée, il ne reste plus que des tas de gravas à la place des maisons d’habitation. Ça a tout l’air d’un champ de bataille qui a essuyé des tirs d’obus. Quelques pans de murs d’immeubles présentant de larges ouvertures résistent encore debout, mais pour combien de temps ? Aucun habitant n’est aperçu sur le site ce 11 juin 2013. « Ça n’a pas été facile pour eux. Ils sont allés se chercher ailleurs», glisse un habitant de Pk 11, épargné. Des propriétaires les plus « chanceux » ont vu leur maison diviser en deux, après le passage des bulldozers. Le moindre bout de clôture qui débordait de quelques centimètres la zone autorisée a été détruit. Les habitants ont déjà entamé des travaux de retouches sur les bâtisses partiellement affectées, afin de satisfaire aux nouvelles exigences.
Des commerçants ont vite fait d’aménager sur les ruines des domiciles rasés, pour y exposer leurs marchandises. Tenez ! A Pk 9, une vendeuse de gerbes de fleur a exposé sa marchandise sur un des murs d’une maison qui a échappé aux engins. A PK 10, un vendeur de rideau a accroché ses articles sur ce qui reste d’un immeuble. On retrouve aussi des ateliers de soudure, de menuiserie, et autres, sur les sites dégagés. Pour fidéliser leur clientèle, certains responsables de commerces et centres commerciaux détruits ont déposé des plaques sur les décombres pour indiquer le nouvel emplacement. On retrouve sur les enseignes, des numéros de téléphone, pour tout renseignement utile.
A Pk 13, un poteau avec des fils électriques trainent au sol. Ledit poteau n’a pas résisté à l’ «adversité » des engins. Les bulldozers ont en outre détruit deux salles de classe de la section maternelle de l’Ecole primaire et maternelle privée bilingue (Eppprb) de Nyalla à Pk 10. Le reporter n’a pas pu rencontrer un responsable dudit établissement pour en savoir un peu plus sur la situation actuelle des élèves. A l’orphelinat « L’œuvre des sans voix » à PK 9, le dortoir des orphelins, constitué de près de quinze chambres à coucher, a été réduit en morceaux. Ma’a Monique, une employée de l’orphelinat, raconte que les enfants (âgés de moins de 12 ans, ndlr) dormaient à poings fermés lorsque l’équipe de démolitions est arrivée près du centre ce jour-là. « Les enfants sont sortis dans la nuit en courant. Ils ont rejoint la grande maison », se souvient la dame. Elle indique que des lits ont été repartis dans deux couloirs de la grande maison épargnée, pour accueillir les orphelins sinistrés.
Une veuve épargnée
La veuve Augustine Maboa est jusqu’ici la seule habitante épargnée par les engins destructeurs. Le domicile de l’octogénaire, (née vers 1929) construit en matériaux provisoires sous les câbles de la moyenne tension, se dresse encore fièrement près de la chaussée au quartier Pk 12. Suzanne Nyouwe, la fille de la vieille dame, raconte que lorsque les véhicules de la Cud sont arrivés près du domicile en fin avril, il était 23 heures. L’un des véhicules a eu une crevaison à l’une des roues. Les engins sont tous retournés à la base. La police a aussi quitté les lieux vers 1h. « La maman était anxieuse. Elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. Elle tremblotait. Vers 3h, on a entendu un bruit sourd. Les engins de démolitions étaient revenus à la charge. La maman a uriné sur elle. Elle s’est écroulée. Le chef de Logbessou l’a retenue dans ses bras », raconte Suzanne Nyouwe.
Un des superviseurs de l’opération des casses a vécu la scène. Il a fait un signe de la main au chauffeur du bulldozer. Le domicile de la vieille, constitué d’un salon et quatre chambres, d’une cuisine et d’un magasin, a été épargné. « La grand-mère est une autochtone des lieux. Elle avait déjà une case en paille ici à l’époque, quand la route a été aménagée. Elle était présente lors du passage des câbles de la moyenne tension. Aujourd’hui elle est veuve. Son mari et son premier fils sont décédés. Si elle est déguerpie, elle n’aura nulle part où aller», se désole Corine Essiben Maboa, petite-fille de veuve Augustine Maboa. L’octogénaire héberge aujourd’hui sa fille, deux petits-fils et deux arrières petits-fils. Elle ne s’est toujours pas remise de la « dure épreuve » qu’elle a affrontée. Depuis ce jour-là, la vieille dame a déjà été conduite trois fois dans des hôpitaux pour des examens médicaux. Elle s’est rendue notamment à l’hôpital de la Cité des Palmiers et à l’hôpital des sœurs au quartier Logpom. « Le choc est encore dans sa tête. Des fois, elle est pensive. Les gens viennent la consoler tous les jours », confie Corine.
On casse sa propre maison
A Pk 8, les habitants établis dans la zone à détruire n’ont pas attendu la venue des engins de la Communauté urbaine. Ils ont entrepris eux-mêmes de détruire leurs constructions. « Si ce sont les gros engins qui démolissent, d’autres compartiments non concernés par les casses peuvent être affectés », explique Hermann Etonde, un habitant. Il a démoli les huit boutiques qu’il avait fait construire il y a trois ans devant sa concession, pour se faire un peu de revenus. Le propriétaire des boutiques confie que le bail lui rapportait près de 200 000 F. Cfa par mois. « Quand j’ai appris la nouvelle des déguerpissements, j’ai demandé aux locataires de partir. Ils ont été compréhensifs. Ils sont allés chercher d’autres locaux ailleurs », précise Hermann Etonde. D’autres propriétaires d’immeubles situés dans la « zone rouge » s’adonnent à la même tâche. Surtout que la Communauté urbaine de Douala a promis d’étendre l’opération des casses jusqu’à Ndokoti, soit sur une distance de près de 8 kilomètres. Il vaut mieux se tenir à carreau.
Mathias Mouendé Ngamo