Marie Viviane Singui Togo. Arbitre internationale pendant plus de dix ans, la jeune dame a une longue et riche carrière sportive. Non sans obstacles. A 42 ans, elle est aujourd’hui coach d’une équipe de football masculine basée à Douala. Ses poulains lui ont donné le sobriquet de « Pep Guardiola ». Allez savoir pourquoi ?   Comment est née votre passion pour le sport? J’ai grandi dans une cité à Bonanjo (Douala). On jouait à tous les jeux. Il n’y avait pas de distinction entre garçons et filles. Quand j’ai grandi donc, j’ai commencé à faire de l’athlétisme. Les 100 mètres et 200 mètres. J’ai été championne du Cameroun dans ces disciplines dans les années 90. J’ai laissé l’athlétisme parce que je ne pouvais plus concilier athlétisme et études, quand je suis allée poursuivre mon cursus scolaire au lycée technique de Yaoundé. On fréquentait de 7h30 à midi, et de 15h à 18 heures. Je n’avais donc plus de temps pour l’entrainement. J’ai laissé tomber l’athlétisme. Après ma licence en Droit obtenue à l’université de Yaoundé, j’ai repris avec le football. Je ne pouvais plus avoir la même forme pour renouer avec l’athlétisme après avoir tout arrêté pendant trois ans. J’habitais à l’université. Tonnerre et Diamant s’entrainaient tout près. Je passais mon temps à regarder les entrainements et c’est ainsi que pris gout au football. Après l’université je suis rentrée à Douala et j’ai joué à Provençal Fc pendant deux ans. Puis j’ai viré dans l’arbitrage. Comment vous retrouvez-vous dans la peau d’une arbitre de football ? Quand je regardais au loin, je ne voyais pas d’opportunité dans le football féminin. Le football féminin, même quand vous êtes championne vous ne sortez pas. Vous jouez juste des championnats ici au Cameroun. Or en athlétisme, je voyageais tout le temps. Je ne pouvais pas faire une compétition sans voyager. Et me connaissant « jusqu’au boutiste », j’ai vu que je ne pouvais pas percer dans le milieu du football féminin. J’ai donc viré dans l’arbitrage. Je me suis inscrite à une formation qui a duré six mois à Douala dans les années 1991-1992. Après ma formation, j’ai arbitré pendant deux ans en ligue, deux ans en deuxième division (D2) et pendant dix ans en première division (D1) internationale.     Quand commence l’aventure internationale? J’ai passé neuf ans en tant qu’arbitre international. J’ai dirigé beaucoup de matchs. Je voyageais, j’allais de pays en pays. Je ne résidais presque pas au pays. En un mois, je passais deux semaines à l’extérieur du pays. J’allais diriger les matchs. Et à notre époque, nous dirigions les matchs des hommes et des femmes. Mais maintenant ce n’est plus le cas. Les femmes ne dirigent plus des matchs d’hommes sur le plan international. J’ai arbitré des matchs de la Coupe d’Afrique des nations (Can) junior, cadet, des éliminatoires de la Can, des jeux olympiques, homme comme femme. En termes de statistiques, j’ai arbitré plus de trente matchs internationaux, hommes et femmes confondus. Sur le plan local, j’ai arbitré beaucoup de matchs. Je ne peux pas les compter. Comment avez-vous apprécié cette expérience sur le plan international ? C’est une très bonne expérience. Ca m’a apporté beaucoup dans ma carrière, dans ma personnalité. Vous savez, quand on dirige des hommes, ce n’est pas facile dans le contexte africain. Les hommes n’aiment pas que les femmes les donnent des ordres. L’expérience internationale m’a beaucoup apporté dans ma façon de travailler. En ce moment je ne peux pas dire qu’un homme ne me faire pas peur. Il peut m’influencer, mais ça ne va pas se passer comme avec les autres femmes qui sont au foyer.   Qu’est ce qui est à l’origine de l’arrêt de votre carrière internationale comme arbitre ? J’ai eu une maladie et j’ai subi une opération. Actuellement je suis à 50% de mes potentialités. Je ne peux pas faire un sport intense. C’est pour cela que j’ai laissé l’arbitrage pour me convertir dans l’entrainement. Je touche à tout. Quand j’étais arbitre, je côtoyais aussi l’entrainement. J’allais regarder les entrainements des équipes. Je m’y intéressais. Après ma maladie, j’ai donc viré dans l’entrainement. J’ai fais des stages, j’ai eu des diplômes. En ce moment, je suis avec ma petite équipe de football masculine, « Africa Star Académy ». Nous jouons en D4. Notre ambition c’est d’aller le plus loin possible, de remonter et d’arriver en ligue 1. Quand je suis arrivée en 2011, j’ai trouvé l’équipe en D5. Nous avons un team coaching. Nous avons un directeur technique. Je suis la seule dame. Je suis entraineur principal et j’ai un adjoint. Le championnat est en arrêt. Nous sommes en phase de recrutement. Pourquoi avoir choisi de coacher une équipe de football masculine ?     Loin s’en faut, je ne me sens pas très à l’aise avec les femmes. Dans tout mon parcours j’ai toujours été avec des hommes. C’est vrai aussi que si on me donne une équipe féminine, je ne vais pas cracher dessus. Mais s’il faut faire un choix, je préfère travailler avec des hommes. En dehors d’être une équipe, « Africa Star Academy » est un centre de formation. Nous avons plus de jeunes dans cette équipe. Alors qu’ailleurs, ce sont des messieurs. Il peut arriver qu’un joueur qui a sensiblement votre âge commence à vous faire la cour. Et vous voyez un peu le tableau. Est-ce que c’est facile pour une femme de coacher des hommes ? Que ce soit des hommes entre eux ou les femmes entre elles, il y a toujours es têtus. Je suis avec les hommes depuis plus de 20 ans en athlétisme, dans l’arbitrage… Il est vrai que je suis une femme. Donc il y a des moments où je me mets en posture de mère. Mais il y a des moments où je me mets en posture d’homme. Quand je donne des exercices, si un joueur ne veut pas le faire parce que je suis une femme, je le mets à côté. Mais le joueur peut être fatigué. Je comprends avec mon cœur de femme. Dans mon équipe, ils m’ont baptisé « Pep Guardiola». Etes-vous victime de discrimination dans votre carrière à cause de votre statut de femme ? Oui. Vous savez que la société africaine est misogyne. J’en souffre tellement. Parce que j’arrive toujours quelque part je comprends les phrases du genre « C’est une femme, elle ne peut rien ». Parfois ça me galvanise. Et je me dis qu’il faut que je fasse beaucoup d’efforts. Avez-vous déjà vécu une situation qui vous a donné envie de tout arrêter ? Oui. J’ai vécu cette situation dans l’arbitrage. J’ai eu envie de tout arrêter. Dans la société camerounaise, la méritocratie n’est pas de notre monde. A un moment donné, je me suis même dit que ma maladie était la bienvenue. C’est pour cela que j’ai arrêté avec l’arbitrage. Je pouvais bien m’efforcer un peu, pour reprendre la forme. Mais j’ai laissé tomber. Quel regard votre entourage pose sur vous ? Ca d’abord été un combat avec ma famille. Mon père était un directeur de poste et maman était secrétaire de direction. Ils n’avaient pas approuvé mon choix. Je suis allée faire dans le sport contre leur gré. Tout ce que je rapportais comme distinctions, ils le balayaient du revers de la main. Ils n’étaient pas contents et disaient que je suis un enfant perdu. Je suis la seule à faire du sport dans ma famille.  Vos plus beaux souvenirs dans votre carrière sportive? En arbitrage, mon plus beau souvenir c’est lorsque j’ai dirigé la finale de la coupe du Cameroun en 2000, qui mettait aux prises Canon de Yaoundé et Coton Sport de Garoua. J’étais arbitre assistante. Le président de la République, je le voyais souvent à distance, à la télévision. Je n’imaginais pas un jour que le président pouvait me serrer la main et me parler. Ce jour-là, le président était très surpris de voir une femme arbitre. Il m’a serré la main et nous avons échangé un peu. Il a dit « Ah une dame ! Je suis très surpris de voir une dame diriger des matchs. Ca ne vous fatigue pas ? ». C’est mon plus beau souvenir que j’ai gardé. Les sportifs sont souvent taxés d’élèves rebelles… … J’ai fais le lycée de New-Bell jusqu’à l’obtention de mon Bepc. A cause des pressions parentales, je suis allée au lycée technique de Yaoundé poursuivre mes études. J’y obtiens mon baccalauréat. A Yaoundé, quand les études ont commencé à connaitre des perturbations, j’ai arrêté avec l’athlétisme. Et mes parents contrôlaient mes bulletins, mes notes, mes heures d’absence. J’ai terminé mes études avec une licence en Droit obtenu à l’université de Yaoundé. Des prix ? J’ai été élu meilleur arbitre assistant entre 2004 et 2005. En athlétisme j’ai été championne du Cameroun aux 100 et 200 mètres. J’ai obtenu une médaille aux Jeux Osu B en athlétisme. Les récompenses en coaching ne sont pas faciles à glaner. Mais j’ai amené mon équipe de la D5 à la D4.    Côté jardin alors ? J’ai 42 ans. Je ne suis pas mariée, mais je suis mère d’une fille de 23 ans et grand-mère d’un petit fils de 15 mois. Ma fille je l’ai eu quand j’étais en classe de Seconde. J’ai accouché très tôt. Mes parents se sont occupés d’elle pendant que je poursuivais mes études. Elle est en Europe depuis l’âge de 13 ans. Vous paraissez plus jeune que votre âge. Quel est votre secret ? Mon secret c’est le sport tout simplement. Je ne passe pas un jour sans pratiquer du sport. Je fais des abdominaux tous les matins et tous les soirs à la maison. Même quand je ne cours pas. Est-ce facile pour une femme de suivre vos pas ? J’ai eu cette chance de ne pas me marier tôt. Parce qu’une femme mariée n’aura pas cette liberté d’aller et venir avec tous ces voyages à faire. Le mariage est donc la difficulté majeure que les femmes qui veulent suivre mes traces peuvent rencontrer. Aujourd’hui, est ce que le mariage est à l’ordre du jour? Le mariage revient à l’ordre du jour. Il est vrai que je l’avais d’abord mis aux calendres grecs quand j’étais plus jeune et je faisais ma carrière. Aujourd’hui j’ai pris de l’âge et je suis plus mature. Si le mariage arrive, je ne peux pas cracher dessus hein. Des ambitions ? Mon ambition c’est d’avoir une équipe en première division et si possible entrainer l’équipe nationale de football. Je voudrais en profiter pour dire aux femmes qu’elles peuvent aussi apporter quelque chose dans le sport, dans la vie. Elles ne doivent plus rester derrière. Ici à Douala je ne pense pas qu’il y ait d’autres femmes qui coachent des hommes. Et même dans le Cameroun il y a peu de femmes qui coachent des hommes. Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo