Marché Great Soppo de Buéa. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Les marchandises en provenance de Douala et de la région du Sud-Ouest Cameroun sont proposées deux fois par semaine, dans un site où évoluent des commerçants en marge d’une véritable organisation et d’infrastructures adéquates.

Un taxi s’arrête. Des passagers se hâtent de descendre. Le taxi s’en va. D’autres véhicules reprennent le manège. Et bientôt, il n’y a plus moyen de circuler sur le trottoir à l’entrée du marché Great Soppo de Buéa, dans la région du Sud-Ouest, ce mardi 25 janvier 2011. Il est 9h40 min. Deux policiers se sont déployés pour tenter de rétablir la fluidité. La tâche n’est pas aisée. Des habitants du quartier racontent que la situation est quasi similaire tous les mardis et samedis, jours de marché à Great Soppo.

L’entrée principale du marché est obstruée par des commerçants qui prennent d’assaut le trottoir sur près de 300 mètres . Fruits et autres marchandises sont disposés dans des brouettes ou sur des bâches, à même le sol. « Oya oya madam », « Sister came na? », crient des marchandes installées en bordure de route. « 200 Fcfa la bouteille. J’importe mes produits de Douala et je revends à Buéa », répète, en boucle, Wilfried Meden, dans un français peu conventionnel. Le vendeur de cosmétiques y ajoute un brin d’english. Wilfried Meden est un des rares vendeurs à introduire du français dans son speech. C’est le pidgin qui sert de « business language » à Great Soppo.

Ici, de petits hangars se dressent en contre bas de la chaussée et abritent près de 500 détaillants. Les comptoirs s’étalent sur une pente et sont coiffés de tôles usées. Il y a au total près d’une dizaine de rangées de comptoirs, séparées par de petits couloirs. De véritables labyrinthes par endroit. Les comptoirs sont achalandés de produits alimentaires divers. De part et d’autre de l’allée principale, poussent des étals d’arachides, de condiments pour soupe, tomates, choux, poissons fumés, oignons, tapioca, maïs, haricots, riz… « C’est cette variété de l’offre et la grande superficie du marché qui fait la force de Great Soppo market », avance Marie Assonzo, vendeuse depuis onze années dans les marchés Munya et Great Soppo.

Tout en aval du marché, un secteur est réservé exclusivement aux bouchers. Légumes, Eru (une sorte de légumineuse) et poulets ont également un secteur à part. Les déchets de plumage de poulets sont déversés dans un drain non aménagé qui côtoie le site de vente.

La clientèle de Great Soppo se recrute aussi bien à Buéa que dans des régions voisines telles Munya, Buéa Town, Moliko. Mais les acheteurs déplorent la cherté des produits proposés. Les vendeurs expliquent que cela est dû au fait qu’ils s’approvisionnent pour la plupart à Douala. « Quand j’achète un habit à Douala à 3 000 Fcfa, je le revends automatiquement à 4 000 Fcfa pour amortir les frais de transport et en tirer un petit bénéfice », détaille Kirsty Simanka, vendeuse de vêtements. Le poisson vendu à Great Soppo market provient de Tiko beach et de Limbe. Haricot, piment et riz (Ndop rice) de Bamenda, dans la région du Nord-Ouest.

Une inquiétude persiste sur le coût élevé des vivres cultivés dans les régions environnantes. Le tapioca, la banane, le plantain et l’igname par exemple sont fournis par Muyuka. Une partie de la tomate est cultivée dans le Sud-Ouest. « Le régime de plantain que l’on vendait à 700 Fcfa il y a deux ans, coûte aujourd’hui 1500 Fcfa », se plaint Marie Teboh, une cliente régulière du marché Great Soppo.

La construction du marché toujours attendue

Marché Great Soppo de Buea. Photo Mathias Mouendé Ngamo
Marché Great Soppo de Buea. Photo Mathias Mouendé Ngamo

A l’extrême gauche de l’allée principale du marché, sur un pan élevé du terrain, le secteur des vêtements a élu domicile. Le couloir est animé ce mardi par la « pinguiss » de Daniel Baka’a et du Sean Kingston. « One one hundred madam », 100 Fcfa, crie un vendeur de friperie. Des habits pour femmes, tissus et jeans ornent les hangars et bâches. Les vêtements proviennent des marchés Central et Nkolouloun de Douala. Il y a aussi du made in Nigeria, China et des produits de Dubaï et Cotonou. Un rayon propose des sandales femmes à 2 000 Fcfa et 3 000 Fcfa ; des chaussures à 3 000 Fcfa et 5 000 Fcfa. Pour accompagner l’ensemble, des sacs triés dans la friperie de Nkolouloun et du marché des femmes de Douala, coûtent entre 3 000 Fcfa et 15 000 Fca selon le prix d’achat. Un autre espace est même consacré aux vendeurs de bijoux. Tout pour se parer.

Dans ce grand espace marchand du quartier Great Soppo, les vendeurs déplorent surtout l’absence de toilettes et la vétusté des infrastructures. Ils y évoluent sans aucune association de commerçants. Le marché est dirigé par Cathérine Makongo, chef de marché, « market mistress », qui joue le rôle d’intermédiaire avec la mairie. Chaque jour de vente,  elle collecte la somme de 100 Fcfa à chaque commerçant. Elle reverse l’argent collecté à la mairie qui coordonne les marchés dans la région. Fin 2010, Mbella Mocki Charles, le maire, a promis la construction prochaine du marché dans un site mieux aménagé.

Mathias Mouendé Ngamo, Buea

Interview

Cathérine Makongo dite « Ticket woman »

Cathérine Makongo, chef de marché Great Soppo de Buea. Photo: Mathias Mouendé Ngamo
Cathérine Makongo, chef de marché Great Soppo de Buea. Photo: Mathias Mouendé Ngamo

« La construction du marché sur un site définitif reste attendue »

Le chef de marché de Great Soppo récence les problèmes majeurs que rencontrent les commerçants.  

Comment est né le marché Great Soppo de Buéa ?

Le marché Great Soppo existe depuis près de quatorze ans. Il s’étalait d’abord non loin du site actuel, en bordure de la chaussée. Au fil du temps, le lieu est devenu exigu. Puis, est né le projet de construction du marché Great Soppo de Buéa. Les commerçants se sont donc rabattus ici. Chacun a construit son hangar à sa guise. Il s’agit d’un marché temporaire, c’est pourquoi nous n’avons pas de bâtiments en matériaux définitifs. La construction du marché sur un site définitif est encore attendue.

Quelle est la procédure pour devenir commerçant à Great Soppo?

Je suis le chef de marché. Pour commencer à vendre ici, on vient me voir. S’il y a un espace libre, j’y autorise l’installation du nouveau venu. S’il n’y a plus d’espace, je le fais savoir à la personne. Il n’y a rien à payer. Seule la contribution journalière est exigée. Comment est dirigé le marché ? C’est un marché temporaire, il n’existe pas d’association de commerçants. C’est au marché de Munya qu’il y a une association des vendeurs d’ignames. S’il y a une association de commerçants à Great Soppo, c’est qu’elle évolue dans l’informel sans autorisation du sous-préfet.

Comment sont donc gérés les problèmes des commerçants?

Il y a une équipe que je coiffe. Elle collecte la somme de 100 Fcfa par vendeur chaque jour de marché. Si les marchandises sont beaucoup plus nombreuses, le vendeur paie un peu plus, 200 Fcfa ou 300 Fcfa. Les sommes collectées sont reversées à la municipalité. Une équipe de la mairie balaie le marché tous les lendemains de vente. Et lorsqu’un commerçant a une préoccupation, il se réfère d’abord à moi. Si le problème est au dessus de mes compétences, je le porte devant le maire. Les problèmes des marchés à Buéa sont portés devant la municipalité.

Quels sont les problèmes récurrents?

Il y a des vendeurs qui refusent de payer la contribution journalière. Leurs marchandises sont tout simplement confisquées. Il y a également des commerçants qui luttent pour le problème d’espace. Mais les véritables problèmes du marché Great Soppo se situent ailleurs. Nous n’avons pas de bureaux, pas de toilettes, pas d’approvisionnement en eau. En dépit de tous ces manquements, nous nous sentons bien. Je comprends que tous ces maux sont dus au fait que c’est un site provisoire.

Quelles sont les grandes attentes des commerçants?

Le plus grand souhait aujourd’hui, c’est de voir le marché établi sur un site approprié avec de véritables infrastructures. J’ai même déjà écrit au maire pour lui soumettre ces doléances. Il a annoncé en fin 2010 que le marché Great Soppo sera délocalisé et construit cette année 2011. Nous restons en attente de cette réalisation.

Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo, à Buea

Portrait

Roger Akosl

« Là où est mon bonheur »

Roger Akosl, vendeur de sac au marché Great Soppo de Buea. Photo: Mathias Mouendé Ngamo
Roger Akosl, vendeur de sac au marché Great Soppo de Buea. Photo: Mathias Mouendé Ngamo

Je m’appelle Roger Akosl. J’ai 24 ans. Je suis le fils ainé d’une famille de cinq enfants. Je vends des sacs à main au marché Great Soppo de Buéa depuis sept ans. Mais en réalité, ça fait trois années que je suis installé à mon propre compte. Comment je me suis retrouvé là? Je résidais à Kumba chez mes grands-parents. J’ai dû arrêter mes études après le First School Living Certificate (Cepe), faute de moyens financiers. Ma famille ne pouvait plus assurer les charges. Après quelques années blanches passées au quartier, j’ai décidé de me battre pour joindre les deux bouts.

Je suis donc venu à Buéa, à la rencontre d’un cousin. Celui-ci faisait dans la vente ambulante de sacs à main ici au marché Great Soppo. Avec lui, j’ai vite appris les rouages de cette activité et aujourd’hui je loue un petit hangar à 2000 Fcfa le mois, pour écouler ma propre marchandise. Ce n’est pas facile de s’en sortir. Comme je vous l’ai dit, il faut se battre. Je me ravitaille deux fois par semaine dans la friperie au marché Central et au marché Nkololoun de Douala. Et il y a le transport qui me revient à près de 5000 Fcfa. En plus, je dois payer à la « market mistress », le ticket journalier de 100 Fcfa, soit 800 Fcfa par mois. Sans oublier que je dois payer mon loyer au quartier. C’est beaucoup de dépenses, mais je m’en tire tant bien que mal.

Je propose mes articles à 3000 Fcfa, 5000 Fcfa, 8000 Fcfa ou 15 000 Fcfa, selon le prix d’achat. Il y a des périodes mortes, comme ce mois de janvier. Actuellement je fais 20 000 Fcfa de recette. Mais je sais que d’ici le mois de mars, la barre des recettes journalières pourra atteindre 50 000 Fcfa. C’est vrai que l’espace marchand dans lequel nous évoluons a beaucoup de handicaps. Il n’y a pas de toilettes ni d’infrastructures adéquates, pas de véritables organisation des commerçants. Mais on se sent toujours bien, là où il y a son bonheur.

Mathias Mouendé Ngamo, à Buea

 Réactions

Kirsty Simanka, vendeuse de vêtements

Kirsty Simanka, vendeuse
Kirsty Simanka, vendeuse

« Les infrastructures sont désuètes »

Je vends des vêtements depuis près de huit ans à Great Soppo. Je fais mes achats deux fois par mois au marché central et au marché des femmes de Douala. Pour m’en sortir lors des ventes, je majore le prix d’achat, pour amortir le transport. Ce qui me déplait au marché Great Soppo, c’est qu’il n’y a pas de toilettes. De plus, les tôles sont toutes usées. Lorsqu’il pleut, nous sommes tous trempés et les clients fuient. Ca diminue notre chiffre de vente. Il faut revoir les infrastructures, elles sont très vieilles. Sinon, le marché est bien grand et riche en différents produits alimentaires.

Jeanette Tegha, vendeuse de poissons fumés

« Il n’y a pas de toilettes »

C’est vrai que les clients disent que nous sommes chères ici à Great Soppo, par rapport aux autres marchés de Buéa. Mais il faut comprendre que Great Soppo est le deuxième plus grand marché du Sud-Ouest, après Munya. Et que nous achetons la plupart de nos marchandises à Douala. Il y a les frais de transport à amortir. Si les coûts sont plus accessibles à Munya, c’est que les vivres proposés proviennent des champs environnants. Il n’y a pas de frais de transport à supporter. En outre, nous sommes dans un marché temporaire. On disait qu’on va délocaliser le marché et le reconstruire. Je ne sais pas ce qu’est devenu le projet. Je souhaite que cela se réalise et que le nouveau marché devienne même journalier. Dans le site actuel, il n’y a pas de toilettes.

Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo, à Buea