Une scène de la pièce Balle au Centre. Photo: Isaac Iboi

La pièce « Balle au Centre », représentée à Douala et Yaoundé, est un miroir social braqué sur un jeu de pari sportif et qui reflète des facettes actuelles de l’immigration, de la colonisation ou encore des violences basées sur le genre.

Deux coups de feu retentissent dans l’obscurité qui règne dans la salle de spectacle de l’institut français du Cameroun à Douala le 26 février 2021.  Il est 20h25min. Eric Delphin Kwégoué (Cameroun) et Cajou Mutombo (Congo) viennent peut-être de se faire tuer par Sarah Laredo (France) en présence de plusieurs témoins. Mais comment le vérifier puisque c’est la scène qui clôture la pièce théâtrale « Balle au Centre » de la compagnie koz’art débuté à 19h19min.

Le drame présenté pour la première fois au public est très ovationné. Il est le résultat de trois semaines de résidences en création à l’espace culturelle Wemah Art à Bonedale Project dans une périphérie de la capitale économique du Cameroun.

En fait, tout est parti d’une vive altercation entre les trois acteurs principaux de la pièce. Alors qu’ils viennent de gagner le pari qu’ils ont fait sur le match de la demi final qui oppose la France à la Belgique, Eric Delphin Kwégoué et  Cajou Mutombo perdent une moitié de leur ticket gagnant. Pourtant, les deux hommes ont mis la «Balle au Centre » pour faire une répartition équitable.

La scène se déroule dans le point Pari-foot (pari sportif) de Sarah Laredo en France. Le décor de cet espace renseigne sur les équipes qui s’affrontent, mais surtout plus sur la France. Le pays du footballeur Zidane, dont une grande affiche d’un joueur arborant le maillot bleu blanc rouge floqué du dosa n°10 est placée au fond de la salle.

L’espace de jeu est sécurisé par le chien de la tenancière représenté sur scène par une sculpture en carton aux couleurs bleu et blanc. C’est d’ailleurs lui qui possède dans sa gueule, l’autre moitié du ticket gagnant des deux hommes.  Le drame survient lorsque Eric Delphin Kwégoué décide de faire mourir l’animal à l’aide d’un poignard.

Balle au Centre, l’aventure

Une scène de la pièce Balle au centre. Photo: Isaac Iboi

La pièce de théâtre « Balle au Centre » relate l’histoire d’un jeune footballeur africain interprété par Cajou Mutombo qui traverse l’Océan  dans l’espoir d’embrasser une belle carrière professionnelle dans un club en Italie. Abandonné à mi-chemin par son manager, il fait face à plusieurs difficultés et se retrouve hébergé chez l’une de ses idoles (Eric Delphin Kwégoué) un ancien footballeur africain en France. Mais la situation de son idole n’est pas différente de la sienne. Ce dernier a été dépouillé de tous ses biens par sa femme et son manager.

L’histoire est triste. Durant 1h 05 min, chacun des trois personnages raconte sa mésaventure de différentes manières. Poème, danse du corps et récit, le tout accompagné d’une triste mélodie qu’émet la guitare de Parfait Bell. L’agencement de tous ces éléments transcrivent des sentiments de colère, de souffrance, de déception. Tous déçus par une situation fortement liée au football.  Et comment ne pas l’être lorsqu’on a hypothéqué la maison de ses parents pour faire un emprunt en banque et arrivé au bout de ses efforts sans jamais véritablement avoir commencé sa carrière?

Colonisation volontaire

Une scène de la pièce de théâtre Balle au Centre. Photo: Isaac Iboi

« Balle au Centre » c’est aussi cette triste réalité des Africains à vouloir toujours immigrer sans un avenir certain. C’est l’aventure sans suite. L’amerrissage. L’océan. L’esclavage. Jadis, les colonies africaines étaient sous la domination de puissances européennes. Grâce à de fortes résistances africaines, le continent a connu son autonomisation et les colons sont rentrés chez eux. Eux qui arrêtaient de force les Africains pour devenir des esclaves, aujourd’hui les africains y vont de leur propre gré pour servir au risque et péril de leur vie.

La pièce est évocatrice de l’histoire autour de la colonisation en Afrique. D’ailleurs, les équipes qui s’affrontent lors de la demi-finale (France et Belgique) et les pays des deux africains de la pièce (Cameroun et Congo) rappellent  la colonisation du Congo avec le roi Léopold II (1885) et le Cameroun sous tutelle Française (1946).  

Toutefois, le message de cette représentation aurait plus d’impact, si les acteurs (les africains de la pièce) lors de la mise en scène, n’essayaient pas de parler aussi rapidement comme leurs confrères, des occidentaux. Au début du spectacle qui a duré 1h 05 min, le public s’est efforcé à capter les phrases formulées par les acteurs. Les paroles sont dites dans la précipitation. Toute chose qui ne rend pas audible ces hommes qui avalent presque toutes les fins de leurs propos. Cet accent tire peut-être sa source de leur long séjour en France comme nous apprend la pièce. D’où cette adaptation. Mais elle peut cependant aussi être interprétée par certains comme le début d’une certaine acculturation.

Contextuel

Photo: Isaac Iboi

Néanmoins, le texte coécrit par Eric Delphin Kwégoué et Cajou Mutombo est contextuel. Les acteurs sont vêtus de façon moderne et classique. La lumière en général plein feu dévoile des costumes valorisant à la fois la mode africaine (avec le tissu pagne)  et européenne (avec Jean, T-Shirt).

En outre, le drame mis en scène par Carine Piazzi révèle aussi des aspects comiques perceptibles dans la scène entre le chien et Cajou Mutombo. La pièce aborde également la thématique de la violence faite aux femmes. L’on se souvient du fait que Sarah prenne la défense de son chien au point de vouloir écourter le séjour sur terre des deux hommes. Sa réaction est le résultat des souffrances qu’elle a connues au côté de son ex-compagnon. Seule la présence de son chien à l’époque lui a sauvé la vie. La décision d’Éric Delphin Kwégoué de tuer ce chien replonge donc Sarah dans ces tristes souvenirs. Elle entre ainsi dans une sorte de psychose et n’a plus la maîtrise sur des actions qu’elle pose. Il faut replacer la “Balle au Centre”.

Tatiana Ngnombouowo