Un couloir du marché Bonassama de Douala (Photo Mathias Mouendé Ngamo)

Les commerçants de cet espace commercial se déportent vers des marchés spontanés qui lui ravissent la vedette depuis quelques années déjà.  

Rayon poissonnerie du marché Bonassama ce vendredi 28 octobre 2011, il est environ 10h30 mn. Les commerçants se tournent les pouces. A peine deux clients sillonnent les allées de ce secteur du marché. L’un d’eux vient de s’arrêter devant un comptoir. Il se renseigne sur les prix de la marchandise, puis poursuit son chemin. Les vendeurs attendront encore près de 25 minutes, pour apercevoir l’ombre d’un autre potentiel client. « C’est comme ça tous les jours. Voyez par vous-même, les clients ont déserté le marché. Ce qui a poussé plusieurs commerçants à fermer boutique », déplore un vendeur, qui indique que le phénomène qui va grandissant depuis bientôt dix ans, s’est accentué ces trois dernières années.

Après une petite visite de l’espace marchand, l’on a en effet constaté que les couloirs sont presque déserts aux heures dites de pointe. Les clients ne se bousculent pas devant les comptoirs. Au rayon « Poissons frais », des rangées d’étals sont inoccupées. Seuls neuf poissonniers sont actuellement recensés sur la quarantaine que comptait ce secteur il y a dix ans, à en croire Roger Youmbi, secrétaire général du bureau des commerçants et par ailleurs poissonnier. Au rayon « Vivres frais » également, les vendeurs ont déguerpi les lieux. Certains se sont installés sur de petites tables près de la chaussée qui traverse le marché. D’autres ont tout simplement  plié bagage.

« Le marché Bonassama se meurt »

Au bureau des commerçants du marché Bonassama, on indique que cette situation de baisse d’activité du marché est due à la naissance de plusieurs marchés spontanés dans l’arrondissement de Douala 4ème, notamment les marchés « Grand-hangar », « Rails », « Petit Baobab», « Mambanda ».

«Bonassama est le seul marché reconnu par l’Etat. Mais il se meurt. Le marché n’est plus occupé qu’à 50 %. Il faut que le délégué du gouvernement fusionne tous ces marchés spontanés et fait de Bonassama le marché central de Bonaberi »,

suggère Mathieu Bogné, le coordonnateur du marché Bonassama.

Il relève qu’avec la naissance de ces marchés spontanés, la clientèle a aussitôt considérablement chuté. Une partie des commerçants s’est déportée vers ces marchés spontanés pour continuer à réaliser de bonnes affaires. « Un commerçant a occupé une boutique devant mon comptoir au mois de février dernier. Avec le marché qui tourne au ralenti, il a été dans l’incapacité de payer les frais de location et a fermé boutique il y a peu de temps. Nous qui sommes encore ici, souffrons beaucoup. Nous remettons tout aux mains du seigneur », témoigne Julienne Leumassi, vendeuse d’épices depuis 1986.

D’autres raisons sont évoquées pour justifier de la baisse de fréquentation du marché de Bonassama, notamment celle relative à la délocalisation du marché de poissons fumés, pour Youpwé. Cette denrée, à en croire les doyens du marché de Bonassama, a fait la fierté et la reconnaissance de cet espace marchand.

 « Les gens venaient de différentes villes pour s’approvisionner chez les Nigérians en provenance du Cap, qui accostaient ici au bord du fleuve Wouri. Et de retour, tout ce beau monde nous achetait beaucoup de marchandises. Le marché était très animé »,

se souvient Jésus-Christ, un des premiers commerçants installé dès la création du marché en 1976.

L’activité commerciale s’était alors développée au point où les comptoirs aménagés par l’Etat devenaient insuffisants. Les vendeurs ont dû construire eux-mêmes de nombreux bâtiments, pour pallier à la forte demande, apprend t-on. Aujourd’hui, des bâtiments avec des boutiques de près de 5m² de superficie, sont à l’abandon. Certains ont été transformés en magasins.

Les réalisations de la Cud toujours attendues

Le regard des commerçants est désormais tourné vers la Communauté urbaine de Douala (Cud), où des requêtes ont été formulées. « On nous avait dit qu’après l’élection présidentielle qui s’est déroulée le 9 octobre dernier, les petits marchés spontanés devaient être détruits, afin que tous les commerçants de Bonabéri se réunissent au marché Bonassama. On attend toujours l’application de cette note de service du délégué du gouvernement », indique Thaddios Che, commerçant de produits cosmétiques. Mathieu Bogné pour sa part, fait savoir que Ntonè Ntonè a glissé qu’après les reconstructions des marchés Ndogpassi, Congo et Bonamoussadi, « le marché Bonassama risque d’être programmé ». En attendant toutes ces réalisations annoncées par la Cud, le nombre de commerçants estimé à 450 d’après le dernier recensement de 2009, décroît de jour en jour.

Mathias Mouendé Ngamo    

Entretien avec Jésus Christ

«Le marché a perdu de sa superbe »

Jesus Christ, doyen des commerçants du marché Bonassama (Photo Mathias Mouendé Ngamo)
Jesus Christ, doyen des commerçants du marché Bonassama 

Le doyen du marché Bonassama s’exprime.

Quel souvenir gardez-vous de vos premiers jours au marché Bonassama?

J’étais le premier commerçant a occuper une boutique ici au marché Bonassama à sa création en 1976. Je me rappelle, c’était la boutique n° 21. Nous venions d’être déguerpis près de la gare de Bonabéri. Bonassama était le seul marché de Bonabéri. Il y avait beaucoup d’activités et d’ambiance dans le marché. Les Nigérians qui partaient du Cap, venaient vendre du Bifaga (poisson fumé) ici, près du fleuve Wouri. Des gens venaient de partout pour se ravitailler. D’aucuns quittaient du quartier Bonamoussadi, d’autres de la ville de Bafoussam. Et lorsque les Nigérians et les autres clients retournaient chez eux, ils se ravitaillaient en huile de palme, arachide et autres denrées alimentaires, chez-nous les vendeurs. Les commerçants ont construit plusieurs boutiques. Mais vers l’an 2000, le marché a commencé à perdre de sa superbe. Il y a quatre ans que la mort du marché s’est accélérée. Les  clients ne viennent plus au marché. Il y a plus de commerçants que de clients. On vient seulement passer du temps ici.

D’après vous, qu’est ce qui a causé de ce soudain virement de situation ?

Tout a basculé lorsque les Nigérians ont cessé le ravitaillement en poissons fumés. Ils ont été las des tracasseries des policiers et antigangs qui les enfermaient en cellule chaque fois. Ils se sont résolus à écouler leur marchandise à Youpwé. Ce qui fait qu’une grande partie de nos clients est désormais rabattue de ce côté-là. La brousse a envahi l’ancien site du marché de Bifaga près du fleuve. Seuls quelques commerçants persistent dans cette activité. Aussi la naissance des marchés spontanés a eu une incidence sur le développement du marché Bonassama. Ntonè Ntonè, le délégué du gouvernement, avait dit qu’il va détruire ces marchés. Rien n’a été encore fait. Beaucoup de commerçants ont fermé boutique et sont partis.

Qu’est ce qui vous motive vous, à rester jusqu’à présent?

C’est parce que je suis le propriétaire de ma boutique. Je l’ai construite moi-même. Je paie juste les quittances mensuelles de droit de place à raison de 3000 F. Cfa, à la Communauté urbaine de Douala. Sinon, je serais parti depuis. C’est la seule chose qui me retient. Actuellement on peut passer une journée sans faire 3000 F. Cfa de recette. Ce n’était pas le cas il y a encore cinq ans.

Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo