Le roi Dualla Manga Bell et les chefs traditionnels. Photo: Kamite Entertainment

«Ngum A  Jémea » qui met en scène trois moments forts de la vie de ce personnage historique a été représentée à Douala les 23, 24 et 25 juillet 2021.

Le cri des grillons berce le silence de la nuit. Dans la pénombre, des ombres se déplacent. Ce sont des chefs traditionnels. Aujourd’hui est un jour lourd de symboles sur la côte camerounaise. Rudolf Dualla Manga Bell, le nouveau roi du peuple duala, doit être intronisé. L’évènement revêt à la fois un côté rituel et mystique.

Sur la scène dressée à la salle des fêtes d’Akwa pour faire revivre cet évènement historique qui date d’il y a plus de 100 ans, une lumière bleue tamisée éclaire le décor. Les chefs procèdent à une sorte de jugement. Ils doivent à tour de rôle marquer leur accord et motiver leur choix pour Dualla Manga Bell. L’élu se déplace ensuite du lieu secret où il recevait tous les précieux conseils d’une Mangone, gardienne de la tradition et responsable de l’initiation.

Au milieu des dépositaires des Us et coutumes, le jeune Dualla Manga Bell apparaît vêtu d’un tissu blanc noué au niveau de la poitrine. Il fait plusieurs promesses, dont celle de placer les intérêts de son peuple avant les siens. Il reçoit ensuite les différents attributs et est installé sur le trône. Le roi est intronisé. Vive le roi !

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Dans la peau de Dualla Manga Bell de regrettée mémoire, Essangue Stiven retrace son vécu. A travers son jeu d’acteur, le jeune homme fait revivre son intronisation, son combat contre l’administration coloniale lors du procès et son adieu. Essangue Stive retransmet aussi les émotions et les attitudes de ce personnage historique. Avec les autres comédiens de la troupe vendredi 23 juillet 2021, le jeu des acteurs est un peu moins captivant en tout début de la représentation. La première d’une série de trois. Mais les protagonistes gagnent vite en assurance et prennent leur marque.

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Dualla Manga Bell revit

Le roi Dualla Manga Bell revit ce soir. Les spectateurs captivés, en apprennent davantage sur sa vie. Après la découverte des différents rituels d’intronisation, il sont édifiés sur les rapports du roi avec son peuple et Von Rhoem, son ancien camarade d’école en Allemagne devenu chef de région au Cameroun. Mais le roi va refuser énergiquement de signer le document dans lequel l’administration allemande locale veut déposséder les autochtones de leurs terres. Il ne cèdera pas à la corruption et au trafic d’influence. C’est le nœud de ses ennuis. Il est traduit en justice, de même que Ngosso Din, son secrétaire général.

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La pièce « Ngum A Jémea »  (la foi inébranlable), un texte de David Mbanga Eyombwan, revient en grandes lignes sur les péripéties de ce procès. Le juge Niedermayer, sous la pression de sa hiérarchie, use de subterfuges et de preuves imaginaires pour condamner à la peine de mort par pendaison, le roi et son secrétaire général, Ngosso Din. Dans le rendu de cet autre chapitre de la vie de Dualla Manga Bell, Eliane Koumetio, dans le rôle du juge, séduit par sa prestance. Les costumes aussi replongent à l’époque coloniale. Mais le ton d’imitation allemand, un peu trop appuyé chez la juge et son « complice » Von Rheim, rend certains messages difficiles à capter par le public. Un défaut sans doute compenser par une bonne gestuelle (posture, tremblote, hésitation dans les décisions, léger bégaiement…).

Le procès est plié d’avance comme l’a si bien deviné Ngosso Din, moins serein à la barre que le roi. La scénographie et la création de lumière de Tally Mbok rajoutent des effets spéciaux qui accompagnent chaque moment et content l’histoire d’une autre manière. La musique jouée en live avec le concours des artistes du Quartier Sud actualise les faits. Les percussions, chants et danses permettent à la fois de découvrir le patrimoine culturel du peuple duala et de faire corps avec l’histoire.

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Au-delà des livres d’histoire

Quelques légers couacs peuvent être relevés, comme cette apparition du régisseur plateau pour déposer le siège du roi, alors que les autres personnages, ici des chefs traditionnels, sont déjà sur la scène. Il y a aussi cette lumière vive qui vient contraster un moment avec la lueur des lampes tempêtes allumées pour la tenue d’une réunion d’urgence à une heure avancée de la nuit avec le roi. Des points qui n’ont pas entaché les longues 2h30 minutes de prestation entrecoupée d’applaudissements du public. Au final, aucune scène n’illustre la pendaison du roi. Est-ce une manière d’éviter de choquer les consciences et de rappeler qu’en Afrique « le roi ne meurt jamais » ?

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pièce « Ngum A Jémea » a encore été jouée le lendemain samedi et dimanche 25 juillet 2021 toujours à la salle des fêtes d’Akwa à Douala. « Il était temps qu’on puisse revivre notre histoire. Ils sont nombreux qui ont juste entendu parler du Roi Rudolph Dualla Manga Bell, sans toutefois savoir en réalité qui il était vraiment et ce qu’il a fait au-delà des livres d’histoire », indique Max Mbakop, le metteur en scène. Ce responsable de Kamite Entertainment, la maison de production, nourrit le rêve de revoir le Cameroun briller par ses enfants. Des enfants qui doivent effectuer un retour dans leur culture, dans leur tradition.

Mathias Mouendé Ngamo