Tension sociale. Les populations de Tolè ont saccagé et brûlé les habitations et autres biens des personnes soupçonnées d’appartenir à une secte.   L’atmosphère est un peu sereine ce lundi 06 janvier 2014 au quartier Tolè à Buea, situé près de la plantation de thé de la Cameroon Tea Estates (Cte) dans la région du Sud-Ouest. Mais bien des choses rappellent encore la violence des manifestations qui se sont déroulées ici la veille. Des colonnes de fumée s’élèvent ça et là. Les cendres ardentes recouvrent le sol. La carcasse d’un véhicule entièrement calcinée « git » à un carrefour. Des habitations et lieux de commerce sont éventrés. Des jeunes du quartier sont réunis dans le hall d’un débit de boissons. Ils discutent à gorge déployée. Au menu des conversations, il y a le sujet sur la démolition des maisons d’habitations et boutiques survenue entre vendredi et dimanche 05 janvier 2014. Les populations, en furie ces jour-là, ont saccagé seize maisons d’habitation et dix boutiques. Les casseurs ont en outre mis le feu sur deux véhicules et endommagé un troisième. Les habitants de Tolè accusent les propriétaires des biens détruits d’appartenir à une secte, et d’y pratiquer de la sorcellerie.    Loko E., un habitant de Tolè, indique que les casses ont débuté vendredi 03 janvier 2014 autour de minuit. Des jeunes du quartier armés de cailloux, haches et gourdins s’en sont pris aux habitations construits en matériaux provisoires et en matériaux définitifs. Les responsables des bâtisses ont alerté les forces du maintien de l’ordre au petit matin de samedi. Les bidasses ont fait une descente sur le terrain. Deux jeunes ont été interpellés. Toute chose, qui, selon Loko E., a fait monter d’un cran la colère des casseurs. Les personnes interpellées ont été relaxés. Les habitants ont intensifié les démolitions en présence des policiers, des gendarmes et du sous-préfet, impuissants. «Si la police intervenait, il pouvait y avoir des morts. Les casseurs ont vidé tout le contenu des maisons ciblées et y ont mis le feu. Tout le quartier était dehors et encourageait cette initiative, car ce sont ces sorciers qui empêchent le développement de ce coin et de ses ressortissants», raconte un habitant. Chasse aux sorciers Le domicile du Nigérian Efion Mickel, présenté comme « un chef de la secte » a été sévèrement attaqué. Tous les murs de la maison ont été détruits. Il ne reste plus que quelques piquets qui soutiennent encore la charpente de la toiture. Mais pour combien de temps ? Tout peut s’écrouler à tout moment. Le propriétaire des lieux, a-t-on appris, fait dans le commerce en gros de bananes. Il écoule sa marchandise à Douala et dans certains grands orphelinats de Buea. Les populations mécontentes ont vidé son magasin. Les régimes de banane qui s’y trouvaient ont été déversés dans la rue. Les bétails appartenant aux personnes suspectées de pratique de sorcellerie ont également été décimés. Des porcs abattus ont été passés à la braise et ont servi pour le repas de dimanche midi. L’équipe de démolition s’est rassemblée dans la grande cour de l’école CBC pour se gaver. « Les commerçants du quartier nous ont aidé avec du riz, du cube et autres ingrédients pour la cuisson. Après avoir repris un peu de force, les démolitions se sont poursuivies jusque tard dans la soirée, vers 18h30 minutes », a confié un des casseurs.    Dans les domiciles démolis, les casseurs affirment avoir découvert des écorces, des serviettes hygiéniques emballées dans des plastiques, un miroir « avec des insignes bizarres » et autres artifices. Ils ont exhibé les objets retrouvés en public. Les habitants ont réussi à mettre la main sur certains de ces présumés sorciers. Les forces de l’ordre sont alors sorties de leur mutisme et ont volé au secours des personnes menacées. Elles s’en sont tirées saines et sauves. Les autres individus ciblés par les casseurs ont réussi à prendre la fuite. « On ne les veux plus dans ce quartier ! Qu’ils n’y remettent plus jamais les pieds », scandaient en chœur les habitants de Tolè, massés devant les différents foyers d’incendie.   Vers 8 h, lundi 06 janvier 2013, Bernard Okalia Bilaï, le gouverneur de la région du Sud-Ouest, le préfet du département du Fako et d’autres autorités administratives sont descendus à Tolè pour constater l’ampleur des dégâts. Quelques représentants du quartier et le chef de Mougandjo, un village voisin, ont rejoint la délégation. Les populations indiquent qu’une concertation a été annoncée (pour ce même lundi 6 janvier, ndlr) dans les services du gouverneur. Tolè reste dans l’attente des résolutions qui y seront arrêtées. En attendant, le maire de Buea, lors d’un passage sur le site, a indiqué qu’une équipe d’hygiène et salubrité se rendra à Tolè mercredi 08 janvier 2014, pour nettoyer les détritus. Révélations Les habitants de Tolè s’accordent à dire que tout a déclenché après le décès d’une jeune fille de 17 ans, et des déclarations troublantes de Joseph Mbomelia, un habitant du quartier. Fongu Luisa Mbongo (née le 11 mai 1997) est décédée dans des circonstances troubles le 02 janvier 2014. Les habitants de Tolè indiquent que la jeune élève, visiblement sous le coup de la manipulation, a avalé un produit utilisé dans le traitement de la tomate et autres vivres, le 31 décembre 2013. Elle a été conduite à l’hôpital de district de Buea, où elle a rendu l’âme deux jours plus tard. Diverses supputations ont été entretenues sur la cause réelle de cette disparition. Les habitants en sont arrivés à la conclusion d’un acte de sorcellerie. Ils ont été confortés dans leur position par les révélations de Joseph Mbomelia, un habitant de Tolè. Il  est sorti de son domicile le 31 décembre 2013 avec une bible à la main et s’est placé au carrefour. « Après avoir prié, il a affirmé que le destin des jeunes de Tolè se trouve entre les mains d’un fou qui le manipule à sa guise. Il a aussi avoué faire partie d’une secte. Il a dit qu’on lui demandait de donner sa femme ou son enfant en sacrifice. Il a aussi cité le nom des gens de Tolè qui sont dans la même secte avec lui », rapporte un habitant. vendredi 03 janvier 2013, une prière a été organisée au cimetière du quartier pour demander l’aide des ancêtres et chasser les « sorciers» qui hantent le quartier. « Un monsieur a interrompu la prière. Il a affirmé à haute voix qu’avant de chasser les sorciers, il faut aussi penser à chasser tous les jeunes qui ont des couteaux », se rappelle Nketi Sampson Fomuso. Le « fou » sus indiqué a été cueilli par la population, douché, coiffé. Il aurait, selon les habitants, indiqué, un coin du carrefour où serait enterré un cercueil. L’endroit a été retourné. « Nous avons remarqué qu’au fur et à mesure qu’on creusait, on entendait des cris d’un homme dans une maison voisine. Il se tenait la poitrine. On l’a placé dans le trou que nous avons creusé. Il a avoué faire partie de la secte ». La chasse aux sorcières a ainsi été lancée dans la nuit de vendredi 03 janvier. Un marabout sera consulté pour déterrer ce cercueil mystique, a-t-on appris. Joseph Mbomelia, qui se réclame lui-même membre de la secte, a été emmené par la police, probablement pour exploitation. Sa maison a été épargnée par les casseurs. Les domiciles des personnes citées, et vivant en location, ont également été épargnés. Mais tous leurs effets et leurs mobiliers ont été rassemblés dans la rue et incendiés. Pour les habitants de Tolè, c’est une grande victoire. Elles indiquent qu’elles avaient toujours soupçonné que des sorciers agissaient dans l’ombre, pour nuire aux ressortissants de ce lieu, mais ne disposaient pas de preuves ou de mobile pour passer à l’action. « Je suis enseignant depuis bientôt trois ans au Ces de Ngeptang Din Noni à Bamenda. J’ai fait l’école normale supérieure (Ens) de Maroua. Mes camardes de promotion ont déjà des salaires. Moi j’attends encore le matricule », tente de justifier Philip Fonki Agah Nifor, en séjour à Tolè, son village natal. Jusqu’à 17 heures lundi 06 janvier 2014, les représentants du quartier étaient toujours attendus à Tolè avec les résolutions de la concertation organisée dans les services du gouverneur. Les jeunes de Tolè s’organisaient déjà entre temps, pour terrasser un gros arbre planté à l’entrée de leur quartier. Les sorciers auraient enfouis des pouvoirs mystiques dans cet arbre. Un autre arbre du genre avait été terrassé.   Mathias Mouendé Ngamo, à Tolè