Bonaventure Ndikung

Le directeur du SAVVY Contemporary est à la tête d’un projet, dont l’acte 1 s’est tenu à Bandjoun, qui vise à repenser les politiques de références et démêler le mythe du sous-développement.

Echanger quelques minutes avec Bonaventure Soh Ndikung et vous n’appréhenderez plus le monde de la même manière. Vous comprendrez aisément comment l’art peut contribuer à améliorer la vie dans tous ses aspects. Pour ce féru de culture qui n’est pas de ceux qui se sentent confortables dans les normes pré-établies, il est important de se poser les bonnes questions pour comprendre comment la société fonctionne. Il est de ce fait nécessaire de créer un endroit où se retrouver et challenger les normes nationales, tribales. Un espace, selon Bonaventure Ndikung, où les artistes peuvent exposer leur travail et s’exprimer pour conscientiser le monde.

Le concept SAVVY Contemporary et les projets autour collent parfaitement à cette description.

«Savvy est une maison culturelle de réunion (Njangui ). Un point de rencontre avec des expositions, un ensemble de performances, poésie, musique. C’est un espace de critiques, où on adresse des questions socio-politiques et économiques importantes»,

explique Bonaventure Ndikung, commissaire d’exposition, écrivain, fondateur et directeur du SAVVY Contemporary, un espace d’art basé à Berlin depuis 13 ans. Savvy compte à ce jour une centaine d’expositions et des publications de magazines sur l’art. Dans les détails, il est question dans le projet de repenser les politiques de références ; d’utiliser l’art comme un médium pour adresser toutes les problématiques autour de la vie.

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De ting we e do cacao …

Une expérience fascinante qui a été implémentée avec succès récemment à Bandjoun, à l’Ouest du Cameroun, lors d’un séjour au pays du directeur du Savvy. Le projet “Démêler le complexe du (sous) développement 50 ans après 1972 – 2022, une ode à l’œuvre “Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique” de Walter Rodney lève le voile sur le mythe et le complexe de sous-développement et développement. Pendant deux jours au centre d’art contemporain « Bandjoun Station » de Barthelemy Toguo, près de 80 artistes des villes de Douala, Yaoundé, Bafoussam, Dschang et Bamenda se sont retrouvés pour réfléchir, pour repenser les politiques de références. Parmi les participants, on comptait des noms connus, groupes de danse, artistes ou anonymes au rang desquels Hervé Yamguen, Tally Mbok, Comfort Musa, Louise Abomba Houngue ou encore Gohla Loveline, Tong Grâce Dorothée, Doueng dance group, Dandji dance group, Tito Valery, Le Berger …

Une discussion dans une sorte de laboratoires d’idées qui a mêlé des acteurs de l’agriculture et ceux de la culture autour de la grande thématique « De Ting we e do cacao na e go do café ». Une notion rédigée en pidgin (un anglais argotique) et qui peut être traduit en français par : « Ce qui a faire le cacao va faire le café ». Une rencontre pour semer et récolter des appréciations holistiques des cultures. Les participants à la rencontre Invocation à Bandjoun s’y sont exprimés en français, en anglais et pidgin.

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« Toutes les cultures sont développées »

Bonaventure Ndikung

« Nous avons commencé avec un jeune agriculteur, Roland Fomundam. Il a étudié aux Usa et est revenu dans son village pour être agriculteur. Nous avons également eu Bobo Lennox qui vient de Bamenda. Il a parlé de son projet où il forme des jeunes au dessin pour lutter contre les traumatismes de la crise en cours dans cette partie du pays. Il faut chercher des solutions africaines aux problèmes africains », soutient Bonaventure Ndikung qui dit ne pas toujours comprendre pourquoi parler pidgin ou camfranglais au Cameroun se perçoit comme une hérésie, alors qu’à contrario des monuments et symboles occidentaux occupent des places de choix dans le pays.

« Le livre de Walter Rodney  est un livre fondamental publié en 1972, il y a 50 ans. Toutes les cultures sont développées, mais certaines personnes viennent avec des entreprises coloniales, des projets coloniaux et vous disent que vous n’êtes pas développés. Que vos langues, vos religions ne le sont pas. Il essaie de montrer dans le livre que la personne qui vous appelle sous-développé vit à vos dépens. Elle n’a aucune ressource et se sert des vôtres. 50 ans après, qui a lu ce livre ? Comment c’est implémenté ? Nous avons nos problèmes à nous. Quel rôle jouons-nous dans le sous-développement de l’Afrique ? Pourquoi sommes-nous dans la même situation des années après les indépendances ? » , s’interroge le commissaire d’exposition et écrivain Bonaventure Ndikung.

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Les personnes de ma personne …

Maa ka Maaya ka ca a yere kono

Il est par ailleurs le directeur artistique de la 13ème édition des rencontres de Bamako, une biennale africaine de la photographie qui se tiendra au Mali du 20 octobre au 20 décembre 2022 sur le thème : “Maa ka Maaya ka ca a yere kono (les personnes de ma personne sont multiples dans ma personne).

Bandjoun Station vient ainsi d’accueillir le premier chapitre de ce long projet de réflexion en cours d’implémentation. D’autres chapitres se tiendront au Sénégal, en Ouganda, entre autres pays. Il sera question à chaque fois d’adapter le dérouler de la rencontre au contexte du pays hôte, apprend-on. L’apothéose aura lieu au siège du SAVVY Contemporary à Berlin, en Allemagne, à travers une grande exposition.

Mathias Mouendé Ngamo