Cabrel Nanjip

Le jeune « influenceur », arraché à la vie à l’âge de 33 ans dans un accident de la circulation, s’est forgé à travers la danse, le DJing, la comédie et un humour qui utilise des proverbes et dictons en langue Medumba.  

Si Cabrel Nanjip à ses dernières heures est plus connu ou présenté sous sa casquette d’«influenceur », c’est surtout l’humour et d’autres arts qui lui auront permi d’exister et de se construire. Un humour atypique qu’il commence à explorer très jeune dans son Bangangté natal. Au quartier avec les siens, ils se regroupent dans l’après midi pour s’exercer. Mais le jeune avide de connaissances veut avoir plusieurs cordes à son arc. Il surfe aussi avec la musique, la danse et le DJing. Cabrel ne rate aucune kermesse pour faire valoir ses aptitudes à la danse ou à l’humour. Il lui arrive de partir de Bangangté pour des compétitions à Douala. Il participe aux évènements de culture urbaine comme Challenges Vacances de Idriss Saladin ou encore Mboa Come Test de Tony Nobody.

Quand il vient à s’installer dans la capitale économique, Cabrel Nanjip s’inscrit à l’université de Douala en 2012. Il ne lâche rien. C’est au mythique Mont des Oliviers à l’intérieur du Campus qu’il passe le clair de son temps. Il en fait une sorte de temple où il répète en envoyant une ou deux vannes à ses camarades qui passent dans le coin. Toujours taquin, il cherche à sa manière à captiver l’attention en commentant le physique ou l’attitude des étudiants, mais toujours sous un fond de bonne humeur.

A chaque activité culturelle à la Fac, Cabrel Nanjip à qui on a collé le surnom de «Sexy choco», est toujours présent. Il assure au poste de Dj et joue parfois toute la journée. La rétribution ne suit pas. Mais la passion est plus grande. Le soir tombé, on le retrouve encore dans des snacks où il fait du Dj «Atalakou». La maitrise de la langue et des proverbes/dictons en Medumba dont il fait usage ajoute une pincée d’originalité dans ses prestations.

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Au commencement

«Tout son univers est construit autour de la musique. Il aimait la danse, l’Atalakou, le DJing, la comédie. C’était un artiste. Cabrel aimait passer du temps sur scène où il peut exprimer son talent. C’est un gars qui ne dormait pas trop. Toujours entrain de bouger. Il impressionnait sur scène. Il avait l’art de provoquer, un charisme naturel et une inspiration de ouf et savait attirer l’attention », se  souvient Alain Youdjeu dit Atome, un camarade de Fac.

Avec Cabrel, le blogueur et rappeur à ses débuts ont côtoyé plusieurs scènes. Mais la scène véritable où le « Nyamton » est déniché arrive en 2016 lors d’un évènement organisé par Orange Cameroun. L’animateur Fidjil qui a très souvent rencontré Cabrel décide de lui donner sa chance sur scène. Il est ensuite sollicité au concert du Kiff No Beat où il fait le show.

Son confrère Gato International lui tient la main, l’oriente et facilite son intégration dans cet univers. Cabrel fait plusieurs scènes importantes : la caravane de l’humour, les Stand Up Party … Pour Gato International, Cabrel Nanjip était plutôt quelqu’un de très talentueux. Celui qu’il a pris sous son aile s’est avéré être un collaborateur.

« On s’est complété. Il m’a appris beaucoup de choses. Comment gagner de l’argent avec son téléphone. Aujourd’hui j’en gagne grâce à lui. On a perdu un génie », témoigne l’humoriste.

Fingon Tralala, un autre humoriste de longue date, a remarqué le style taquin de Cabrel. Il dit avoir vu un jeune qui faisait des improvisations à partir de ce qu’il voyait. « C’est aussi quelqu’un qui essayait de partager avec les gens qui l’entouraient », note Fingon Tralala.

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Les Atalakous

A la Coupe d’Afrique des nations (Can) en 2017 au Gabon, les Lions indomptables sont engagés dans la compétition. Cabrel tombe sur une vidéo de l’ivoirien Dj Arafat, où ce dernier avance que : « les Camerounais on va vous finir ». L’originaire du département du Ndé, solidaire de l’équipe nationale, réagit aussitôt dans une vidéo croisée avec des proverbes en langue Medumba sortis de sa grande gibecière d’Atalakous. «/Tant que le feu de brousse n’est pas encore terminé, un criquet ne peut pas souhaiter mes condoléances à son voisin/./Si quelqu’un te dépasse avec la viande, c’est que même avec le plantain il va te dépasser/. /Chaque louche ne peut ramasser que sa quantité de sauce/. », lance -t-il entre autres, en Medumba et en français.

La vidéo fait le buzz sur la toile. Cabrel ne réalise pas encore la niche qu’il y a à exploiter sur le digital. C’est quand il reçoit 50 euros (32 500 F. Cfa) d’une certaine Mama Afrika en France pour souhaiter un joyeux anniversaire à sa sœur, qu’il ouvre les yeux. Les prix des sollicitations grimpent : 100 000, 200 000 F. Cfa… C’est l’ouverture dans le digital. Il continue des directs dans lesquels il fait des souhaits d’anniversaire. Les Likes et les partages suivent. Il pense à se diversifier et se lance dans les directs emprunts d’humour. Les sketchs suivent.

« Je suis le premier humouriste-comédien camerounais à être diffusé sur la plateforme Bimstr et sur la plateforme le 4ème pouvoir. Il n’y a pas deux. Il faut donner ma révérence. Je suis le premier à souhaiter joyeux anniversaire aux artistes et ça passait là-bas. Je parlais le Medumba et on riait»,

soutenait -t-il dans une émission de télé, comme pour revendiquer un « palmarès».

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La toile

Les prestations sur la toile ne sont pas toujours bien accueillies. De son vivant, Cabrel l’a lui-même reconnu, il a plusieurs fois été couvert d’injures et de moqueries, notamment sur son physique. L’artiste surfe parfois dans l’autodérision pour y faire face. Cabrel Nanjip qui aime bien la reconnaissance et revendiquer ses réalisations se retrouve plus tard dans le clip officiel du titre à succès « Coller la petite » de l’artiste Franko. Il joue le rôle du portier du snack dans la vidéo. Cabrel apparait dans d’autres clips comme danseur. Il figure dans le clip de Ko-C. Comme chanteur, il met sur le marché le single «C’est grave ici » en featuring avec Papy de Petit Pays en novembre 2021. Quelques trois millions de vue sur Youtube. En 2022, il sort la chanson « Suis pas maudit » en featuring avec les Kankan Boys. Sa troisième chanson « Tu étais là » est un feat avec Ceguy .   

Le gars qui aime bien les projecteurs va faire la doublure de Kalagan sur le plateau de l’émission C’Comment pendant quelques temps sur Canal 2 International. Parmi les contrats qu’il a décroché dans son costume d’influenceur, Cabrel Nanjip a cité de son vivant un contrat avec une marque de serviette hygiénique. Il évoque en prime ce gros contrat avec le Label Dante Fox qui lui offre un séjour idyllique à Dubaï pour « vendre » un film de leur maison de production. De son séjour à Dubaï, le créateur du «Canton Nyamton » imaginaire garde des souvenirs à quelques proches. Des vêtements et une greffe brésilienne à sa maman. Celle qui est affectueusement appelée « Tata Claire » à Bangangté est spécialisée dans la vente de beignet-haricot-bouillie.

« C’est la première femme à mettre le citron dans la bouillie. Elle fait les beignets depuis 30 ans. Elle a commencé quand j’avais encore un an », a fait savoir Cabrel dans une émission de C’Comment.

C’est « Tata Claire » qui a dû se battre avec son petit commerce pour élever le petit Cabrel et ses frères, alors orphelins de père depuis la petite enfance. De son vrai nom Nanjip Nguepnang Rovi Cabrel, Cabrel Nanjip est présenté par des proches comme quelqu’un qui était très dur de caractère, impulsif, qui avait toujours raison et ne se laissait pas faire. Il narguait à l’occasion, mais avait bon cœur. En quête de buzz, une photo de lui inconscient, le visage maculé de sang et adossé sur le volant d’un véhicule a circulé sur la toile en 2021. La légende indiquait que l’artiste était dans un état critique. Il n’en était rien.

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Le dernier buzz de Cabrel Nanjip

Mais la nouvelle de l’accident qui a circulé le 15 juin 2023 cette fois, était bel et bien réelle. Rien à voir avec le buzz. L’artiste qui se trouvait seul au volant de son véhicule a rendu l’âme à la suite d’un accident de la circulation sur la nationale n°3 à Ebombe, un village situé entre Edéa et Pouma. D’après la gendarmerie, l’artiste, 33 ans, roulait en direction de Yaoundé. Le pire s’est produit vers 9h à la suite d’un mauvais dépassement et d’un excès de vitesse. La voiture de l’artiste s’est retrouvée nez à nez avec un camion qui roulait dans le sens inverse. Le choc était si violent que la petite voiture a été considérablement amochée. Les populations riveraines venues au secours ont extrait le corps sans vie du comédien coincé à la cabine.

Les gendarmes du peloton routier motorisé d’Edéa sont descendus sur le lieu de l’accident pour effectuer le constat. La dépouille du comédien a été déposée à la morgue de l’hôpital régional d’Edéa. Avant d’être transférée à Bangangté, avec un arrêt à la morgue de l’hôpital de district de Bonassama à Douala. Des vidéos dudit accident ont fait le tour de la toile. Les internautes avertis s’en sont offusqués. La famille de l’artiste aussi. Cette famille éplorée se prépare pour l’organisation des obsèques à Bangangté. La page du Nyamton se referme.   

Mathias Mouendé Ngamo